L'enchanteresse, la princesse et l'ingrate.

BaBaYaGa


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Il y a 5 ans | Le 19 Dec 2018 18:05:45
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Rien n'était plus beau que la magnifique princesse Séraffia.
Son regard avait l'éclat du diamant, sa taille la souplesse et la majesté du félin, sa peau était douce comme de la soie, ses lévres étaient une rose et ses dents des perles. Quand elle relachait sa chevelure blonde, dense et brillante, ses cheveux ondulaient jusqu'aux cuisses, l'enveloppant de lumière.
Le soir, lorsqu'elle défilait aux fêtes que donnait le roi de Lodaran son père, ce n'était pas son diadème qui relevait la beauté de son visage, c'était son visage qui semblait illuminer les joyaux de sa tiare.
Princesse par la naissance, mais reine de beauté, tous l'admiraient, tous l'encensaient, tous l'adoraient et tous s'inclinaient devant elle: Séraffia était fière, orgueilleuse, vaine et hautaine, autant qu'elle était belle.
Parmi les nombreuses filles d'honneur qui formaient sa cour, s'en trouvait une aussi disgraciée de la nature que Séraffia en avait été favorisée.
Le roi avait recueilli la pauvre Méluzia, dont le père était mort lors du combat pour le Bien au côté de Michaël, lui sauvant plus d'une fois la vie avant de la perdre. Depuis l'orpheline vivait auprès de la princesse, qui daignait à peine lui accorder un regard.
Méluzia était laide, rien en elle ne pouvait plaire aux yeux.
C'était en vain que la jeunesse elle-même avait jeté son voile riant sur cette disgracieuse enveloppe. Le seul charme qu'elle pût avoir consistait dans sa voix mélodieuse, harmonieuse et pénétrante : même les oiseaux n'eurent pu trouver, dans leurs chants cadencées, des accords plus suaves que ceux de la voix de Méluzia.
Cependant, la pauvre enfant ne tirait aucun parti de ce don enchanteur. Elle avait si bien la conscience de sa laideur, qu'elle redoutait tout ce qui pouvait attirer l'attention sur elle. Sa seule préoccupation était de s'effacer et de se faire oublier autant que possible.
Ignorant son malheur le roi exigeait qu'elle parût à toutes les fêtes qu'il donnait. Reconnaissant, plus que les souverains n'ont coutume de l'être, du dévouement montré par le père de Méluzia, il reportait en vain sa gratitude sur la fille, désirant la combler autant qu'il le pouvait.
Méluzia apportait à ces fêtes ses tristes souvenirs, le sentiment de son isolement et celui du peu de plaisir qu'elle pouvait causer aux autres. Elle revêtait des habits de couleurs sombres, puis se choisissait une place aussi écartée que possible, derrière ses heureuses compagnes, se dissimulant à tous les regards.
Elle assistait silencieuse à ces plaisirs qui lui étaient étrangers: aucun seigneur ne songeait à lui offrir sa main pour les danses. Le front baissé, le cœur serré, elle voyait passer et repasser devant elle la séduisante Séraffia, couverte d'hommages et de diamants, rayonnant dans ses parures, éblouissante de bonheur et de beauté.
Le contraste de son sort avec cette destinée brillante l'oppressait douloureusement. Peu à peu l'envie, cet atroce sentiment, pénétra dans son âme et finit par l'envahir tout entière.
Un mot d'affection - ou même de pitié - de la princesse aurait pu combattre cette funeste disposition, mais celle-ci n'avait que dédains et duretés pour la fille pauvre, laide et abandonnée, que seules les bontés du roi pouvaient soutenir à la cour, où elle faisait tâche au milieu de tant de jeunes et éclatantes beautés.
Ainsi Méluzia se prit à haïr Séraffia et à force de souffrance, cette haine en vint à lui paraître si naturelle qu'elle lui eût fait du mal - ou lui eût causé du tort - tout en croyant n'exercer qu'une vengeance légitime.
Son cœur, pourtant, n'était point méchant, mais elle était malheureuse : la vue continuelle de tous les bonheurs, dont elle se trouvait déshéritée, avait fini par l'ulcérer et par y jeter les instincts les plus pernicieux.

BaBaYaGa


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Il y a 5 ans | Le 19 Dec 2018 22:40:59
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Un jour, le roi ordonna une grande battue dans les bois de Jamioulx non loin de son chateau. Méluzia, comme de coutume, fut conviée à cette fête.
La matinée, fraîche et charmante, promettait une journée favorable. La princesse Séraffia parut avec un magnifique costume de chasse, de cuir et de velours vert, boutonné avec des pierres de jade et une émeraude retenait la longue plume qui flottait à son chapeau. Elle montait un superbe cheval blanc portant une housse enrichie de perles.
L'air du matin, le plaisir, le sentiment de sa beauté toute puissante rehaussaient l'éclat du teint et des yeux de Séraffia. Sa bouche vermeille souriait. Une rose, qu'elle avait attachée à son corsage, paraissait moins fraîche et moins brillante qu'elle. Le roi la considérait avec orgueil et tous les seigneurs de la cour se disputaient l'honneur de l'escorter.
Elle était au milieu de son triomphe lorsque parut la triste Méluzia. Celle-ci avait revêtu, comme à son habitude, un costume sombre et sévère, sans aucun ornement. Elle chevauchait un cheval noir et un voile tombait sur son visage, plus pour le cacher que pour le parer.
La foule joyeuse des chasseurs partit aux sons du cor, s'élançant dans les allées verdoyantes de la forêt. On échangeait de joyeux propos, les rires se croisaient et le hennissement des chevaux se mêlait aux bruyantes fanfares.
Méluzia s'écarta peu à peu de tous ces groupes animés et s'enfonça dans les profondeurs des bois, perdue dans ses rêveries accoutumées. Le silence se fit autour d'elle, son cheval marchait sans bruit sur la mousse épaisse.
Après une longue course, elle releva la tête et regarda autour d'elle.
Elle aperçut alors avec effroi un horrible loup noir à trois tête,s qui se tenait immobile à l'entrée de l'allée qu'elle suivait. Il paraissait attendre quelque chose, ou quelqu'un, les yeux vifs et le poil hérissé, ne se préoccupant en aucune façon de la chasse, dont on entendait les bruits lointains.
Cette singulière rencontre frappa la jeune fille de surprise et de terreur, et elle tourna bride à l'instant, en mettant son cheval au galop. Au détour du chemin elle rencontra la princesse, qui suivait de loin la chasse avec l'une de ses suivantes.
– Voyez donc, dit Séraffia assez fort pour être entendue de tous, quel sombre et vilain costume, bien digne de celle qui le porte! Je ne sais, en vérité, pourquoi mon père s'obstine à attrister toutes ses fêtes par l'aspect continuel de ce maussade laideron.
Méluzia devint pourpre, puis une pâleur de mort couvrit son visage à cet affront et son sang reflua vers son cœur.
– Princesse, dit-elle, la voix tremblante et sans se rendre compte de ce qu'elle faisait, le roi est là qui vous attend. Il m'a chargée de vous envoyer auprès de lui. Et elle désigna l'allée fatale.
Séraffia s'y élança, bondissante et joyeuse, sans faire attention au trouble de Méluzia, l'attribuant au dépit causé par l'insolent propos qu'elle venait de tenir. La jeune suivante alla rejoindre la chasse.
Méluzia resta un moment immobile, pétrifiée, le remords la saisissant déjà ,puis éperdue, elle se précipita à la suite de la princesse, sans bien savoir au juste si elle allait pour la sauver, pour mourir avec elle ou pour jouir de ses angoisses.
Quand elle arriva auprès d'elle, Séraffia était pâle, renversée en arrière sur son cheval, la bouche béante, les yeux sortis de leurs orbites, les cheveux hérissés.
Le Cerbère paraissait prêt à se jeter sur elle: Méluzia s'élança.
Tout à coup la bête féroce perdit ses formes hideuses. Un brouillard l'enveloppa, puis ce brouillard s'étendit, s'éleva comme une fumée et se dissipant à demi, laissa apparaître une femme d'une beauté mystérieuse, vaporeuse comme les nuages qui l'environnaient et belle dans ses contours indécis.
– Je suis BaBaYaGa, dit-elle aux deux jeunes filles stupéfaites. Il y a longtemps que je vous connais et que je vous observe. Vous êtes méchantes toutes deux et toutes deux vous serez punies.
En même temps elles se sentirent enlevées par les cheveux et traversèrent les contrées avec une rapidité vertigineuse.
Quelques instants après, elles s'abattaient dans une grande plaine, dépouillée d'arbres et de verdure, aride, pierreuse, et où il n'y avait aucune trace d'habitation. Aussi loin que la vue pouvait s'étendre, on n'apercevait rien qu'un horizon monotone qui bordait cette immensité.
BaBaYaGa était encore là.
– Nous voici, belle princesse, dit-elle à Séraffia interdite, sur les hautes terres de Boodok, bien loin du royaume de votre père. Vous allez le regagner à pied.
Et elle indiquait du doigt un des points de l'horizon.
– Vous apprendrez peut-être par les souffrances et les privations à compatir aux peines des autres.
Et toi, ajouta-t-elle en se tournant vers Méluzia, envieuse et cruelle, puisque tu as voulu la mort de la princesse, tu expieras ta méchanceté.
Plus forte et hardie que ta compagne, tu lui serviras de guide et de soutien pendant son douloureux voyage.
– Tiens, prends cet anneau, il pourra satisfaire à vos besoins les plus urgents. Mais garde-toi d'y recourir trop souvent, car il est avare de ses dons et pour qu'il se montre généreux, il faudra que vos cœurs revinssent à de bien meilleurs sentiments. Adieu.

Les formes de l'enchanteresse se perdirent dans le brouillard, un rire moqueur traversa l'espace, les jeunes filles étaient seules.