Les flocons tombaient, un à un, et formaient une épaisse couche blanche sur un sol stérile. Une petite fille jouait dehors, enveloppée de laine, devant la ferme familiale. A travers une fenêtre, on pouvait voir le regard bienveillant que la mère posait sur son enfant.
Tout dans ce foyer inspirait la paix et la quiétude. Un couple jeune et heureux, parents d'une fillette en pleine santé, aucune ombre au tableau. Ils vivaient loin des tumultes des guerres, dans des contrées trop hostiles pour être passantes. Seules quelques fermes isolées composaient le voisinage, et tous les habitants des environs se connaissaient.

La mère ouvrit la porte de la petite chaumière et appela la petite fille.


-Itxara, rentre tout de suite, il commence à faire tard, ton père ne va pas tarder à revenir. Va te laver avant de prendre le repas en famille !!


Les doigts engourdis par le froid et les cheveux parsemés de flocons, la petite entra dans la grande pièce chauffée. Déposant sa cape sur un clou, elle galopa à l'étage pour enlever les traces de boue qui s'étaient collées à son visage lors de ses jeux. L'eau glacée lui bleuit les articulations, tandis que ses joues prenaient une teinte rouge vif, prises par la morsure du froid. Un linge encore humide par le manque de chaleur la sécha tant bien que mal, et ce fut grelottante qu'elle rejoignit sa mère.


-Et bien, ma puce, file te réchauffer près du feu, il ne faudrait pas qu'il t'arrive un malheur le jour de ton anniversaire, tout de même !!


Aujourd'hui, Itxara avait dix ans. Il était temps pour elle de partir à la ville pour apprendre un métier. Tisserande, lavandière, cuisinière ou serveuse, ce n'était pas au milieu de la forêt qu'elle pouvait apprendre tout cela.

Elle reviendrait peut-être un jour, au village, pour apporter son savoir, ou bien pour retrouver ses racines et y mourir. Demain est toujours un autre jour, pour Itxara, Demain est une autre vie.

[Quelques années plus tard, sous un porche miteux d'une grande ville.]


'Pourquoi resterais-je assise ici, à me lamenter, mes vêtements sont en lambeaux, je n'ai dans mes poches que de quoi me payer un repas froid, et pour seul compagnon, ma peine et ma tristesse.'


De long cheveux bruns qui lui glissaient jusqu'au creux des reins, de simples morceaux d'étoffe d'un bleu azur passé qui recouvraient son corps, et une grande cape élimée qu'elle gardait à la main. Tous les matins, sa mère l'emmitouflait dans une telle cape, pour la protéger de la neige comme du vent.

Mais ce n'était pas là ses seuls souvenirs d'enfance. Elle se remémorait également lorsqu'Ekaitz lui reboutonnait sa cape, avant de parcourir la forêt. Lorsqu'il lui montrait comment traquer les petits animaux, comment connaître les différents arbres, et leurs propriétés curatives ou destructrices. Ces promenades en forêt en compagnie de son seul ami, son frère de cœur, restaient les moments les plus doux de ses dix premières années.

Mais en ville, il n'y avait pas d'arbres, pas plus que de gibiers. En arrivant, elle s'était sentie perdue. Quand elle avait compris qu'elle n'avait pas quitté le village pour apprendre un métier, mais pour devenir esclave, elle ne savait si elle devait en vouloir à ses parents ou à sa destinée. Ne voulant commettre d'impairs, elle ne s'en prit ni à l'un, ni à l'autre, et accepta son état de soumission. Jusqu'à ce qu'une opportunité lui permette de s'échapper.

Cette opportunité avait un nom, Saïda. Bonheur. Cette jeune femme l'avait pris sous son aile pour la faire partir de la minable petite auberge où elle cumulait les métiers de serveuse et femme à tout faire. En sa compagnie, Itxara avait visité toute la ville, mais elle avait également appris une profession. Elle était devenue voleuse. Agée de quinze ans, Itxara commençait à pouvoir se débrouiller seule. Elle séduisait maintenant le jour celui qu'elle cambriolait la nuit, usant de mille charmes pour connaître les pièges et sortilèges de chaque demeure.

Mais elle avait vite perdu le goût pour de telles escapades. Saïda l'avait abandonné un matin, sans donner de raison à son départ, et la jeune femme devait maintenant se débrouiller seule. Et, les années passant, la vie lui paraissait vite répétitive. Mais surtout vite inutile.

Et elle était là, maintenant, sous ce porche troué.


-Manquerais plus qu'il pleuve,
marmonna-t-elle entre ses dents.
-Et bien, qu'il en soit fait selon ta volonté,
lui répliqua une vieille passante.

Comme sur un signe divin, une grosse goute, passant par un des nombreux trous, alla s'écraser sur le front d'Itxara. Puis une autre, et ce fut l'averse qui se déversa, faisant fuir les promeneurs et les marchands ambulants. Seuls la vieille dame continuait à marcher de son pas pesant et lent. Surprise, Itxara la suivit, s'enfonçant dans la vieille ville, dans les sombres ruelles. Le chemin se fit plus tortueux, puis la femme s'arrêta à une petite bicoque. Laissant la porte ouverte. Prenant cela pour une invitation, Itxara la suivit. Il faisait sombre dans la petite pièce et une masse sombre la regardait fixement.

Elle s'approcha de la vieille femme et s'installa en face d'elle. Deux verres étaient sur la table, préparés avant leur arrivée il semblait.


-Vous attendez de la visite, je ne vais donc pas m'attarder. Comment faites-vous cela ? Êtes-vous une voyante ou un médium ?


La vieille femme éclata d'un rire gras.


-Nul besoin d'être voyante ou autre pour connaître le temps ! Nul besoin de lire dans les astres, non plus, pour s'apercevoir que tu es vouée à un destin exceptionnel. La seule chose qu'il faut, c'est connaître les légendes de ce pays, et un petit sens de l'observation.
Laisse-moi te dire qui tu es. Tu viens du nord, de terres enneigées couvertes de forêts et où la confiance et la cohésion sont les meilleurs moyens de protection. Tu es née il y a maintenant dix-huit années. Tu étais la seule de ta famille à avoir les yeux d'un bleu si profond et les cheveux d'un noir ébène. Voilà pourquoi tu as quitté ton village. Sous la contrainte, tes parents t'ont abandonné à la ville. Sous la pression des autres villageois.

Tu es ensuite arrivée ici, vaquant de petits boulots en petites combines, accumulant l'expérience nécessaire pour vivre où que tu sois. Mais tu n'as pas ta place ici. Laisse moi te présenter d'autres terres où ton avenir, tu le forgeras de tes propres mains.


L'envie de rire était grande. Cette femme qui disait tout connaître de moi ne se trompait pas ! Enfin, presque. Moi, une légende ? Presqu'autant que le chat que je voyais sur le lourd buffet de la salle.


-Suis mes recommandations, jeune fille à la cape bleue. Tu te fonds dans la nuit, tu irradies le jour. Tu peux vivre dans un autre monde où tu auras ta place. Je t'offre deux cadeaux pour parcourir ces nouvelles terres.

-Vous m'offrez des cadeaux ? Vous croyez que je vais partir de cette ville ? Ne comptez pas sur moi. Envoyez quelqu'un d'autre, cherchez la vraie fille de la légende. Je ne suis pas la seule femme aux cheveux noirs, si ?

-Je sais ce que je vois... Pars, vis, et ne reviens plus !!!

[Quelques heures plus tard]

-Et voilà. Me voici en terre inconnue, face à ce grand portail. Et avec cette bestiole qui me suit…


Un petit dragon volant suivit pas à pas Itxara. D'un bleu profond, il était ton sur son avec la cape. Il semblait que la vieille avait respecté sa promesse de don. Mais le deuxième n'apparaissait pas encore.

Remontant son capuchon, le petit dragon se perchant sur son épaule, Itxara traversa le portail d'un pas allant, curieuse de visiter ces nouvelles terres, rencontrer de nouvelles personnes.