Mines de Dusso, Territoire non exploré,

Seul le sifflement du vent se faisait bruyant. Le campement faisant face aux mines semblait désert, abandonné. Les toiles de certaines tentes étaient déchirées, laissant leurs lambeaux flotter au gré du vent. Les gobelets de gnôle ou de café étaient renversés, des chaises de fortune avaient volé en éclat et les traces d'un incendie contenu assuraient un spectacle morbide. Pour autant, aucune dépouille, aucun squelette ne se dévoilait sous la fine couche de neige qui avait recouvert la scène. Pas de charnier non plus, ni de sang.

Nichée dans le flanc Est du Mont Esvalt, cette mine semblait suffisamment enclavée pour ne laisser subsister qu'une simple brise.
Les explorateurs qui avaient fini par trouver son emplacement semblaient ne pas en avoir réchappé. Comme si le simple fait de se présenter en cet endroit était tacitement interdit. Pourtant, le plateau sur lequel il reposait semblait tout à fait adapté au développement d'une activité industrielle. Peut-être ce lieu était-il empreint d'une magie si terrible que nul ne devrait en souffler mot.

Ainsi, seul ce campement abandonné, saccagé, se fait le témoin du passage de la vie. D'un début de colonisation.

[…]

A l'instant précis où le jour cède sa place à la robe noire et scintillante de la nuit, des tambours se firent entendre. Les coups réguliers, frappés sur une fine peau tannée, se faisaient insistants, montant crescendo au gré du temps. Impossible de dire si ces roulements étaient portés par le vent, dont la force ne faisait qu'enfler, ou bien de l'intérieur de la mine, dont la gueule béante restait d'un noir de geais.

En plongeant au cœur de cette immensité, les tambours se faisaient plus présents, plus vivants, plus oppressants, plus assourdissants. C'est au paroxysme de la douleur que les oreilles de Vilck Rhapul s'étaient mises à saigner, le rendant complètement sourd. Il était agenouillé au centre d'un étrange temple glacé, dont le toit semblait partiellement détruit. Au centre, un cercle avec un symbole étrange. Autour de lui, des inscriptions inconnues, semblant prôner un quelconque Dieu ancien.




Les tambours laissèrent place à des murmures, qui laissèrent place à des palabres de plus en plus distinctes. Mais Vilck Rhapul n'entendait rien de ce dialecte ancien. Il était devenu sourd. Et il pleurait. Non pas de douleur, ni de tristesse, mais bien de frustration. Car l'objet de sa convoitise était à portée de sa main, et qu'il n'avait su s'en emparer. Au lieu de quoi, il avait été stupidement dupé, puis capturé.

Vilck avait le goût du sang dans la bouche, celui de la rancœur, celui de la haine. Il avait les mains liées à un morceau de bois qui avait été glissé derrière sa tête. Ses doigts avaient été brisés, en même temps que sa fierté. Il avait le front appuyé contre le sol, si bien qu'il ne put voir s'approcher, à nouveau, les Ombres qui le châtiaient depuis des jours, des mois, des années, il ne s'en rappelait plus guère.

Une main brandit une tige de fer. Elle était longue, et semblait lourde. D'un ouvrage fin, elle dénotait dans cette atmosphère de violence. Cependant, à y regarder de plus près, le bout de la tige était rougi par le feu. La main asséna un coup sec, sous les entraves du pauvre marchand. La douleur fut vive, transperçante, inattendue, elle lui décrocha un cri qui fendit la pierre.

[…]

Vilck Rhapul gisait, inconscient, sur les carreaux gelés du temple. La marque qui lui avait été faite était désormais cicatrisée, encore boursouflée.




Ainsi, le célèbre Vilck Rhapul était à présent marqué au fer rouge. Mais il était encore en vie. Il resta dans cet état des jours entiers. Il avait pris la décision de survivre, avec un seul but, s'emparer de ce qu'il était venu chercher.
Après des années de captivité, le marchand s'était vu offrir un sort inespéré. La libération. Contre une promesse, celle d'intégrer les ténèbres et de faire corps avec elles. Ce qu'il s'était empressé d'accepter. Il intégra l'Ordre, et la Marche Funeste. Il apprit à faire corps avec les Ombres, à les maîtriser, à les aimer.

[…]

Lors d'une cérémonie, le marchand fût confronté à un choix. Quitter l'Ordre, et retrouver les Terres d'Argent, ou bien continuer son apprentissage, et quitter son enveloppe charnelle pour trouver un autre visage. Ces années de lavage de cerveau avaient-elles fait de lui un autre ? Il décida de rester. Et Vilck Rhapul n'apparût plus jamais sur Baduk, ni sur aucune autre terre. Jusqu'à ce que …

[…]

Lodaran, Baduk



« Oyé manants ! Accourez badauds ! Votre marchand officiel est à nouveau parmi vous ! Quel bonheur de vous retrouver, quel bonheur de vous proposer un tout nouvel étalage ! Ami du jour, ami du soir, avec moi, plus de désespoir ! Car ce soir, vous ne serez plus les mêmes, car ce soir, je vous offre ce qui n'a encore jamais été offert à ces Terres … »