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Quelques années s'étaient écoulées depuis la naissance d'Earyl, il était devenu un charmant bambin. Ses yeux d'ardoise avaient pris des teintes d'azur et contenaient une confiance affirmée. Cet enfant inattendu avait fait le bonheur et la fierté de Maelyss, elle l'avait élevé en secret avec l'aide de celui qui le-lui avait offert, sans penser à la tournure que prendraient les événements.

Elle n'y avait guère songé, confiante en sa destinée, elle savait ce qu'elle aurait à faire le moment venu.

Le petit n'avait plus vraiment besoin de sa mère qui lui avait donné tout ce dont il avait besoin pour aller dans la vie, désormais il serait confié à Loenie, dans le plus grand des secrets, cette femme veillerait sur lui tant qu'il le faudrait.

Maelyss partagea le secret avec le père de l'enfant, puis remit à Loenie un petit livre dans lequel elle avait écrit l'histoire d'Earyl.

- Ne le donne à personne, ce recueil doit rester avec Earyl. Je lui ai déjà tout raconté, mais il est encore bien jeune pour appréhender son histoire, ce livre sera sa mémoire. Je ne sais pas quand je reviendrai, aussi, tu dois continuer d'écrire pour moi.. Je ferai mon possible pour avoir de vos nouvelles.

Étonnamment, Maelyss ne ressentait aucun émoi à laisser Earyl à une nourrice, sa confiance était absolue et malgré l'amour qu'elle lui portait, elle savait qu'autre chose l'appelait bien plus pressément. Elle embrassa tendrement le petit front tiède de son fils, sourit et porta son regard vers Loenie.

- Prends bien soin de lui et n'oublie pas de lui parler de ses parents.

Elle s'en alla ainsi, certaine que le Grand Keya veillerait sur tout. Elle s'éloigna sans se retourner, l'esprit déjà ailleurs.
...

Ô Grand Keya,
Que ta volonté soit faite, sur la terre comme dans le ciel.
Bénis tes enfants, descendants de ton âme,
Et guides-les parmi l'obscurité.


...

Au fur et à mesure qu'elle avançait, le ciel prenait une teinte pourpre, attirant son regard. Maelyss s'arrêta, leva les yeux et admira longuement ce que les murmures du Keya lui avaient montré en rêve.

Le monde rouge... Nébullia.

Dans ce matin grenat qui volait le titre à tout autre matin qui aurait été plus merveilleux, la ville de Nébullia s'offrait aux yeux de Maelyss. Ses maisons, ses commerces, ses rues calmes dans le début du jour étaient simplement une vision incroyable.
Le dôme du Palais de Cristal dépassait sur le fond de la ville de son bleu d'opale, créant une légère aura violine en se confondant avec la couleur du ciel. Maelyss s'avançait, comme si ce monde avait toujours été le sien, se dirigeant vers le centre de Nébullia où s'imposait Sante Keya, l'énorme cathédrale dédiée à la dévotion pour le Keya.

Sur le parvis, Maelyss découvrit nombre de détails qui lui avaient échappés dans son voyage en songes avec le Keya. Ainsi, le portail était encadré de larges voussures finement gravées sous lesquelles le tympan représentait des moines-soldats de l'Anima Templi, défenseurs de Sante Keya et sur le linteau, en grandes lettres dorées : " SANTE KEYA "

Ces éléments n'étaient que les prémices de ce qui se trouvait à l'intérieur et que Maelyss découvrit en entrant dans le narthex. L'entrée en demi-cercle qui s'ouvrait sur la nef par une large porte en bois sculpté, était décorée de hautes tapisseries sur lesquelles ont reconnaissait des Gulr, leur nom était écrit sous leur portrait : Erst, Eziak, Moach, Gilmambor, dernier héritier de la famille des Saeculia, puis mis en avant par une encadrure décorée de plumes d'or, il y avait l'effigie d'Arminas Oronar en pied, et son titre de Censor.
Maelyss les dévisagea tous longuement, retraçant mentalement ce qu'elle savait de leurs parcours. Ils restaient malgré-tout bien mystérieux.

À ce moment-là, un groupe d'hommes portant soutanes et capuches sombres entra dans la cathédrale, sans remarquer apparemment la présence de Maelyss. Elle les regarda passer, les suivit et les vit s'installer sur les bancs dans le milieu de l'allée. Alors seulement, elle fut envahie par tout ce qui l'entourait.

Plantée comme un trumeau devant la porte d'entrée de la nef, ébahie devant la beauté des lieux, elle s'imprégna de cette lumière que filtraient les fines fenêtres géminées ornées de vitraux dans lesquels on traversait l'histoire de Nébullia en couleurs intenses et cristallines.

Des hommes forcèrent le passage en la bousculant, la sortant par la même occasion de sa torpeur. L'un d'eux se retourna légèrement sans s'arrêter et chuchota une brève excuse, ce qui fit se retourner un autre homme qui lui s'arrêta et fixa celui qui avait murmuré l'excuse comme s'il l'avait hurlée. Il haussa les épaules, et regarda Maelyss. Immobile, son visage caché dans sa capuche ne laissant rien paraître, qu'un regard de rubis sans expression. Il renifla nerveusement et se retourna pour reprendre sa marche, faisant apparaître la doublure violette de sa cape et tous partirent s'asseoir à la croisée du transept, juste devant le choeur.

Maelyss les regarda prendre place silencieusement, s'installant elle-même sur un de ces vieux bancs de bois, près du premier pilier de l'allée, s'assit et observa à nouveau le ventre de cette immense mère cathédrale.

Les piles et les voûtes étaient immenses, offrant aux Ombrae une dimension digne du Keya qu'ils venaient honorer tant qu'ils le désiraient. Maelyss se sentait comblée en ce saint lieu, elle posa son regard sur le grand aigle d'or qui ornait l'abside, illuminant le choeur d'une aura protectrice qui irradiait dans tout l'édifice, lequel s'emplissait des enfants du Keya, l'heure de l'office devait être proche.

On entendait quelques murmures dans le bruissement des étoffes qui habillaient les Ombrae, des pas feutrés qui les menaient à leur banc et à leurs prières.
Maelyss vit malgré tout quelques têtes se retourner vers elle, feignant de les ignorer, elle se leva automatiquement quand apparut Faliero, le grand prêtre du Keya, tout de blanc vêtu.
Et tous les fidèles se levèrent dans un même mouvement pour saluer le représentant de leur culte, l'invitant ainsi à commencer la cérémonie.

Sante Keya résonnait de cette voix haute et claire, qui réconfortait, protégeait et aiguisait la foi de chacun en son âme. La voix du prêtre, la voie du Keya.
L'histoire des Ombres est éternelle.

" Quae Keya Protego Ombrae "

L'office ne dura guère longtemps et quand Faliero prononça la formule d'usage qui annonçait la fin de son sermon, les Ombrae répétèrent la devise et sur un signe de tête vers le prêtre en guise d'au-revoir, commencèrent à quitter les travées.

Maelyss ne bougea pas, elle regardait toutes ces Ombrae passer à côté d'elle, tentant de les dévisager, toutes se ressemblaient, seuls des détails vestimentaires, leur regard ou leur posture pouvait les différencier, si elle les avait mieux connus.
Pourtant, lorsque le Censor passa devant son banc, il s'arrêta à nouveau et la fixa encore de son regard de rubis. Maelyss savait de qui il s'agissait, elle se leva, s'avança légèrement vers lui en inclinant la tête et posa un genou à terre, alors il avança sa main gantée qu'elle saisit délicatement pour l'effleurer de ses lèvres.
La main du Censor se referma sur les doigts de Maelyss, tirant vers le haut pour l'inviter à se relever, ce qu'elle fit dans la grâce de sa légèreté. L'attirant dans l'allée, elle quitta son banc, il lâcha sa main et dans un mouvement ouvert de son autre bras lui indiqua la direction du narthex. Entourés d'autres Ombrae, ils sortirent ensemble de Sante Keya et se retrouvèrent sur le parvis.
Malyss se retourna pour voir encore le tympan sous ses voussures et admirer l'ampleur de Sante Keya, se demandant ce qu'il allait advenir désormais, ce qu'avait préparé le Keya pour elle maintenant qu'elle était là, au plus proche de Lui, plus déterminée que jamais à Le servir par tous les moyens dont elle disposerait, ce qui commençait ici par la présence des Ombrae et de leur souverain, le Censor Arminas Oronar Gulr.

- Encore une fois, Faliero a été remarquable pour son sermon, il a une telle source d'inspiration...

Le regard de Maelyss revint au groupe d'Ombrae.

- Il EST, la source de notre inspiration, d'après ce que j'ai entendu.

Bien qu'elle ne pensa pas vraiment ce qu'elle venait de dire, elle sourit d'un air convaincu.

- Il est en tout cas un excellent messager.

Balayant les regards posés sur elle, Maelyss remarqua que celui du Censor était le plus brillant et à la lumière du jour son intensité révélait une curiosité à peine voilée. Cette dernière phrase l'avait interpellé, elle laissait deviner une singulière compréhension du monde de Nébullia et il semblait fasciné.

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