Epreuves et preuves

Maelyss
Elevatis Ombrae Filius


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Il y a 6 ans | Le 17 Jan 2018 23:17:03
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Le visage impassible, Maelyss marche lentement dans l'étendue intacte des neiges de Dusso, contemplant le vaste paysage immaculé, sa marche est lente car la neige est épaisse et rend la progression difficile, chaque pas demande un effort important qui renforce la détermination de celle qui fut et amenuise les forces physiques qu'il lui reste. Cela fait partie de ses projets, éteindre, puis supprimer cette chair inutile et peut être, au-delà de ce sacrifice personnel, éprouver et prouver la grandeur de son âme. Cette âme sans aspérité, entière, qui jamais n'avait failli, sa seule arme, son seul ami véritable, sa seule loi devant l'éternité.

On entend au loin les cris des fiers dragons d'argent, Maelyss se souvient de ses combats acharnés contre eux et au bout de maints efforts, sa victoire, la victoire de sa persévérance, de sa détermination et de son âme limpide.

Trébuchante, celle qui fut tombe à genoux dans la neige molle, des brandons de magie s'échappent de son alchimie d'Eodreth, faisant fondre les flocons cristallins qu'ils touchent. Sa tiare lui tombe sur les yeux, puis s'enfonce dans la neige avec un petit bruit mat. Décidément, cette chair est bien fragile, toujours à l'affût de la moindre trahison, comme elle venait de le démontrer et pourtant ô combien réfractaire dès qu'il s'agit de disparaître.
Relevant les yeux vers l'étendue blanche, elle retire ses mains glacées de la neige, les essuie sur sa tunique et les porte à son cou, dans un léger roucoulement, ses doigts caressent la rondeur et les gravures sur le cuivre de grelots issus d'un Noël qui était passé bien loin d'elle. Toujours attachés à son cou symboliquement, depuis des lustres, en souvenir d'un bon vieux temps révolu. Elle ne reniait rien de son passé qu'elle estimait juste, mais si matériellement et affectivement elle n'avait jamais manqué de rien, sa foi, elle, n'avait jamais cessé de l'interpeller. Maelyss se sentait toujours seule, enfin, la plupart du temps. Les seuls moments où elle se sentait pleinement comblée étaient dans les batailles difficiles aux côtés de ses frères d'armes, quand elle risquait sa vie pour une cause qu'elle estimait juste ou bien lorsqu'affaiblie, elle priait son âme de lui donner le courage et la force. Mais ce temps-là est lui aussi révolu...

Le soleil, sobre dans une colonie de cumulus, commence lentement à descendre de son apogée, Maelyss se relève, puis reprend son cheminement funeste, abandonnant au sol son sceptre d'Ithikhör, non sans se souvenir d'où elle le tenait, un vieux guerrier un peu saugrenu, un peu son ami, le lui avait offert par amitié afin d'éviter qu'elle n'ait à traverser les glaciers d'Erysia qui menaçaient d'être fort dangereux pour elle. Cela arrivait souvent, qu'on offre tout à Maelyss sans qu'elle ait besoin d'acquérir par elle-même, par gentillesse, par amitié, par amour, voire par manigance. Acceptant les cadeaux pour ne pas créer d'affront, elle tentait de rendre la pareille sans y parvenir, ou rarement. Ce qui la plongeait dans cette solitude infinie, cocon d'or dans lequel elle n'avait qu'à se bercer.

Elle est maintenant face à sa destinée, après avoir conclu qu'en définitive ce corps plein de traîtrises est désormais inutile, elle va en finir avec lui et n'être plus que cette âme sûre, fervente, grande et belle, soumise et dévouée, qui espère trouver de quoi se nourrir dans cet autre monde qu'elle tente de rejoindre. Peu importe que les loups affamés se partagent le corps agonisant et commun d'une femme en Eden, quand cette même femme porte en elle une âme valeureuse digne de servir un Dieu.

Sans vraiment être convaincue de son vivant, devant la difficulté à obtenir des réponses, Maelyss doutait de l'existence d'un quelconque Dieu en Eden, bien qu'il était arrivé souvent qu'elle pria très fort, emplie de rage, pour en recevoir de l'aide. Peut être n'était-elle pas assez claire dans ses requêtes, dans son coeur.. Jamais aucun Dieu ne se fit remarquer. Jalouse des Ombrae qui semblaient avoir trouvé une quiétude absolue de leur âme, ne trouvant pas de conviction dans son ascèse, elle s'en remet à l'ultime sacrifice qu'elle pense acceptable, le sien, celui de sa chair. Sa seule certitude à ce moment-là étant qu'elle ne peut pas faire plus que cela. Si un Dieu la juge séante, il viendra prendre son âme, elle en est résolument persuadée.

Tout au bout de l'immensité enneigée, l'horizon prend des couleurs d'apocalypse, le ciel s'est obscurci, avalant les cumulus, laissant Maelyss en arrêt devant ce dernier spectacle pour ses yeux.
Pétrifiée par le froid, elle voit ses mains et ses avant-bras qui sont devenus du même bleu que dans cet horizon lointain. Les derniers rayons du soleil et la dernière nuit lui offrent cet ultime présent, cette grâce d'illuminer sa mort par ces sublimes couleurs qui feront son linceul.


[...]


Les astres poursuivant leur circonvolution, l'aube réapparut dans le froid et la brume de Dusso, imperturbables et silencieux. Dans l'immensité immaculée de blanc, un seul détail attirait l'oeil, une petite tache sombre dans la neige qui faisait comme une flaque, une ombre..
Le corps de celle qui fut Maelyss gisait là, bleui par le froid, inerte, à demi recouvert par la neige qu'une brise doucereuse balayait en de fines couches aériennes.

Ô Maelyss, qu'en est-il de ton âme à présent ?

Dans le ciel qui finissait d'effacer ses teintes de nuit, un rapace vint tourner au-dessus de la dépouille, dans sa sépulture de flocons elle était à la merci de n'importe quel charognard qui aurait trouvé une raison d'être à cette chair.
Tourbillonnant dans les airs, décrivant des cercles de plus en plus réduits, de plus en plus bas, tel une spirale inéluctable, il fondait lentement sur l'ombre qui tachait le sol. Il ne se posa pas, mais il vola si près du petit corps qu'on vit scintiller des reflets d'or sur ses ailes et ses yeux perçants semblaient contenir un courroux inflexible. Il reprit son envol brusquement, s'élançant dans une haute altitude avec un glattissement strident à glacer le sang, puis disparut.

Alors, l'ombre se souleva, elle se détacha du sol dans une aura écarlate et se mit à réciter une prière :

- Que ta volonté soit faite, sur la terre comme dans le ciel,
Bénis tes enfants, descendants de ton âme,
Et guides-les parmi l'obscurité...


..


Maelyss
Elevatis Ombrae Filius


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Il y a 6 ans | Le 23 Jan 2018 23:43:11
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Ô grand Keya, créateur du monde...Tu as donc entendu mon appel...


Balayant le ciel du regard dans toute son immensité, Maelyss se leva dans un élan si léger qu'elle éprouva un intense sentiment de béatitude. Un sourire fit rayonner son visage tout entier, puis elle se mit à marcher, droit devant elle, sans penser où la mèneraient ses pas. Désormais elle ne se sentirait plus jamais seule. Plus jamais elle n'aurait froid. Plus jamais elle n'aurait mal.

Elle songeait profondément à cette nuit, cette nuit sinistre et fantastique qui lui avait apporté la mort de sa chair et la renaissance de son âme.

Pendant sa lente agonie, son sang gelant peu à peu, le Keya l'avait bercée de sa douce voix, harmonieuse et bienveillante. Il lui avait raconté la Terre, l'air, la lumière, l'ombre, l'Homme... Il l'avait emmenée à travers le Keytek, elle avait rencontré Elessar, et puis dans un voyage qui semblait durer mille nuits, il lui montra toutes les contrées de Nébullia, l'île d'Osgherrat, le marais des trolls, les monts enneigés et le volcan de Volégia... Chacune d'elles lui rappellait quelque chose, ou quelqu'un... Elessar, qu'elle avait connu de loin avant et de plus près, après sa fusion avec Moach Gulr, quand il devint Gilmambor. Elle avait aussi repensé à Hébus, qui bien que très menaçant, l'avait souvent attendrie par son imbécilité naïve. Lui et ses confrères aux noms aussi étranges que leurs rites.

L'Histoire défilait, déroulant son fil d'Ariane de part en part, de Nébullia à l'Eden, de l'Eden à Maelyss.

Comment une ombre peut-elle propager tant de clarté ?

En quelques heures, Maelyss rassembla en un seul Tout, ce qu'elle savait et ce qu'elle avait appris dans les murmures du Keya. Tout devint tellement clair, voire évident. Sa conscience devint aussi diaphane que le manteau de voile qu'elle était devenue. Elle se demanda comment elle avait pu être si aveugle, si sourde, si fermée, si longtemps.
Sans doute faut-il traverser ces épreuves, comme autant d'ordalies, pour prouver sa vaillance et enfin, ENFIN, être cet enfant béni.

Être, tout simplement.


Ô grand Keya, créateur du monde...Observe ma soumission et que résonnent mes prières en Ton Saint Nom.


[...]


À l'aube du premier jour, rien n'avait changé. Dusso était toujours la même, enneigée, résonnante de cris furieux de dragons d'argent dans un calme glacé. Mais pour Maelyss, tout était différent, ce jour et ces terres garderaient pour l'éternité le secret de sa délivrance et le sentiment tendre des bras d'une mère.

Elle ne chercherait plus l'absolu, elle l'était devenue.

Ses pas s'arrêtèrent, Maelyss regarda une dernière fois l'horizon brumeux, clignant des yeux sous la blancheur éclatante de l'étendue face à elle, puis disparut du paysage...

Ses pensées l'avaient emportée sur les rivages de l'océan, sur les terres d'Edora, dont le seul accès était réservé comme récompense ultime, à ceux qui avaient eu ce mérite d'avoir accompli les Cinq Travaux. Maelyss faisait partie de ces preux aventuriers, non sans avoir connu le martyr qu'il fallait vivre pour parvenir à cette fin, ou plutôt... à ce début. Dio avait ouvert la voie, à en devenir fou à force de chercher le passage, puis revenant victorieux, tous les autres avaient suivi. Certains forcés d'admiration, d'autres marchant sur les corps des premiers pour rafler tout ce qu'il était possible de prendre, vite et mal, sans le moindre respect pour ces terres luxuriantes, plus riches qu'aucune autre terre connue. Ainsi est l'Eden, ainsi sont les Hommes.

Dans leur précipitation, beaucoup étaient morts, happés par la faune sauvage qui défendait Edora, puis avec le temps, les Hommes apprirent à la dompter et à se plier à elle.

L'océan berçait Maelyss, de ses vagues venant mourir à ses pieds comme autant de caresses, dans le chuchotement paisible de l'eau. Un griffon bleu traversa l'espace, glissant dans les airs dans un mouvement longiligne, elle le suivit du regard jusqu'à ce que l'horizon le dévore..

Alors, elle songea aux Hommes, se demanda depuis quand elle était partie, ce qu'il restait d'elle dans le monde des vivants.

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Maelyss
Elevatis Ombrae Filius


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Il y a 6 ans | Le 27 Jan 2018 10:40:43
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Des souvenirs d'amour, de complicité, des souvenirs tout court, quelques lettres aux envolées lyriques pour quelqu'un qui n'existait probablement plus et donc oubliées.. Quelques cicatrices..

Agenouillée sur l'herbe haute et fraîche, Maelyss se tenait recroquevillée, les bras sur la poitrine, le nez dans ses bras, elle parlait toute seule d'une voix si douce, si calme, qu'on l'aurait confondue avec la brise. Elle discourait sans fin, penchée sur ses genoux en se berçant doucement, telle une embarcation légère sur une houle verte.
A n'en pas douter, elle disait des choses très tendres, mais qu'on n'entendait pas, seuls ses bras pouvaient savoir ce qu'elle faisait à ce moment là. Et les bras ne délivrent aucun secret. Ils ne délivrent que de la tendresse, du moins en ces circonstances. Une tendresse que rien n'aurait pu mesurer, pas même la bienveillance du Keya, qui Lui, entendait tout.


- Earyl, tu t'appelleras Earyl et tu n'oublieras jamais qui je suis...
après que je te l'aurais appris...



Maelyss détendit ses bras, se redressa un peu, tourna son buste sur la gauche et déposa délicatement un paquet de tissus dans sa besace qui béeait à ses côtés. Maintenant une main sur la besace, elle regarda le ciel d'azur orné d'un doux soleil printannier.


- Juste le temps qu'il nous faut, ni trop chaud, ni trop froid...


Un large sourire traversa son visage angélique et elle se perdit dans ses pensées un long moment.
Jamais elle n'aurait imaginé que l'on pouvait ressentir tant de bonheur, peut être que son corps était trop petit pour en contenir autant... Maintenant qu'elle en était délivrée, elle n'était plus que cela, une félicité infaillible que rien ne semblait pouvoir troubler. Aucun souvenir ne ternirait cet état de grâce que le Keya avait rendu éternel. Quant à l'avenir... Lui seul en serait maître et elle seule se soumettrait, confiante. Elle avait tendu sa main, Il l'avait saisie, le reste leur appartenait.
Maelyss se demandait si tous les Ombrae avaient cette relation tellement fusionnelle avec le Grand Keya, s'Il était pour eux, comme pour elle, plus qu'un ami fidèle, plus qu'un autre soi-même, plus qu'une mère, plus qu'un Dieu. S'Il réalisait leurs désirs comme Il réalisait les siens et même, s'ils entendaient Ses murmures sacrés en chaque instant, s'ils entendaient Ses silences, s'ils comprenaient...
Le Tout et le Quand, les réponses étaient toutes là, il suffisait d'écouter, avec son âme. Maelyss se dit que le Keya n'avait sans doute jamais été aussi bien compris et que c'était pour cette raison qu'Il l'avait choisie et qu'Il lui offrait tous ses rêves. Contre sa dévotion véritable, sa confiance aveugle et son consentement à faire d'elle ce qu'Il voudrait. En attendant, c'était Lui qui faisait d'elle ce qu'elle voulait.
Peut-être qu'un jour le Keya lui ferait voir et vivre de l'autre côté, histoire de lui rappeler le tourment... Mais elle n'en avait pas encore oublié le goût amer.

La musette posée à côte d'elle s'agita et émit un petit cri rauque, Maelyss posa un regard aimant et rêveur sur sa main en la soulevant. La petite vie s'éveillait avec vigueur.


- Tu n'oublieras jamais qui tu es non plus, j'y veillerai. Earyl...


Elle prononçait son nom avec tant d'amour qu'il semblait impossible que la grâce ne le touche pas, il serait lui aussi un enfant béni qu'elle guiderait dans l'obscurité avec le soutien du Grand Keya, puisqu'Il lui avait permis de naître, l'enfant sacré que même en rêve, elle n'avait jamais imaginé. Et pour cause... Qui comprendrait, hormis l'autre moitié qui l'avait conçu ?


[...]


Comme tous les bébés, Earyl avait des yeux d'ardoise, un petit nez en trompette, une bouche aux lèvres minces et des joues rebondies aussi fraîches que des pétales de rose, un menton minuscule et des oreilles bien plaquées sur son crâne rond déjà chevelu, des cheveux de soie claire que Maelyss caressait sans fin en lui murmurant des mots d'amour qui s'adressaient tant à lui qu'à sa moitié absente. Se doutait-il seulement ?

À force de gigoter, la petite chose se dégagea des tissus qui l'enveloppaient, laissant apparaître deux jambes maigrichonnes et des petits poings rageux sur un ventre rondouillard. Maelyss eût envie de rire, mais elle ne le fit pas, elle laissa seulement sa bouche rire en silence, qui n'était pas vraiment du silence puisque le petit criait famine de plus en plus rageusement... Alors, elle rhabilla l'enfant pour l'épargner de la fraîcheur et le reprit contre elle, recroquevillée, les bras sur la poitrine, le nez dans ses bras, penchée sur ses genoux en le berçant doucement.
Elle nourrissait son enfant, les yeux éperdus dans la vastitude de ce geste nouveau, elle nourrissait son corps et son esprit, de lait, de caresses et de mots poudrés attachés à une histoire extraordinaire.

Une fois repu, le petit fruit d'amour s'endormit , Maelyss le redéposa dans sa besace, blotti dans ses tissures et s'allongea à côté de lui, le couvrant d'une main protectrice. Puis elle s'endormit à son tour, l'oreille aux aguets, comblée elle aussi.
Son sommeil fut empreint de rêves délirants dans lesquels elle traversait le ciel comme un astre, son enfant dans les bras, elle survolait le monde pour le montrer aux yeux de tous, l'objet de sa fierté porté au plus haut des sommets de son orgueil.. Elle ne serait pas la seule à ressentir cet état, puisque cet enfant était le trait d'union qui la liait à jamais avec celui qui l'avait aimée et pour lequel elle avait une admiration sans limites, plus puissante que l'amour lui-même, car même s'il devait la maudire, même si elle devait le mépriser un jour, elle l'admirerait toujours. Ils étaient si différents, dans des mondes si distincts qui ne se rejoindraient jamais, sinon pour se faire la guerre... Mais c'était là un tout autre sujet qui ne dévoilerait ses secrets que plus tard.


Quae Keya Protego Ombrae...

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