Sur l'immensité des océans d'Edora, un bâtiment fendait les flots à toute vitesse, laissant derrière lui une traînée d'écume blanche et aussi mousseuse que le dessus d'une bière fraîchement tirée du baril : le Krakenton voguait fièrement sur les vagues houleuses de l'océan.

Chacun des membres de l'équipage était à son poste, menés par Stunt, la plupart entonnaient de gais chants marins, qui se laissaient porter par le vent.
Mills, la Longue-Vue du Kraken, siégeait en haut de sa vigie, guettant l'apparition des forts marins qui avaient osé dénaturer la beauté des eaux du Cap'tain.
D'autres tiraient des cordages divers, gonflant ou dégonflant les voiles au grès de la volonté du Cap'tain, qui était occupé à tenir la barre, entre deux goulées de sa bouteille de rhum.
Les nouvelles recrues étaient occupées à briquer le pont, tâchant d'enlever chaque salissure dont la piste menait tout droit au troll qui prenait maladroitement place aux côtés du Cap'tain.

Il était vêtu d'un maillot trop court pour sa carrure, blanc rayé de bleu couleur azur laissant déborder son énorme ventre poilu et d'un simple pagne en fourrure de phoque autour de sa taille. Un colifichet d'os brinquebalait autour de son cou, au rythme des vagues soulevant le navire. Il était appuyé sur sa massue, la tête penchée dans un tonneau de Poussokrim qu'il avait précautionneusement vidé au cours de sa dernière beuverie, à peine quelques minutes avant. Il avait un haut-le-cœur à chaque vague, qui était suivi de près par le claquement de mains que Marvel faisait retentir entre chacune des pompes qu'il exécutait sans relâche pour garder la forme et pouvoir rivaliser avec le Troll des Mers.

Tandis qu'un bruit d'éclaboussures et de crachats retentissait au fond du tonneau, Mills donna de la voix, signalant la présence d'ennemis : « Fort en vue Cap'tain ! Fort en vue ! Direction Nord-Nord-Ouest ! »
« Entendu Longue-Vue ! Cap Nord-Nord-Ouest ! Hissez la grand-voile et affalez le foc ! »
Hurla-t-il à l'intention de l'équipage à la proue du navire, tout en moulinant son gouvernail pour que le bâtiment prenne la direction indiquée.
Se relevant péniblement, Hébus essuya sa bouche d'un revers de bras.
« Pitié, faites qu'on amarre, on en a marre ! » implora-t-il avant de replonger la tête dans son baril, sous les yeux désabusés de Kyoshiro et de son commis, Yeiko, tous deux adossés au bastingage bâbord, déçus de voir que le repas qu'ils avaient préparé avait déjà été régurgité.
« Ne t'en fais donc pas, Troll des Mers. Nous accosterons d'ici une petite heure, profites en pour rouler sous la cale, nous t'appellerons le moment venu. »

Obéissant, Hébus vint s'écrouler dans son hamac tissé d'un vieux mais robuste filet de pêche et entrepris de s'endormir.

Alors que le noir se faisait dans les quartiers de l'équipage, deux yeux rouges apparurent silencieusement de l'ombre environnante. Ils avancèrent silencieusement, découvrant alors le corps allongé d'un homme richement vêtu d'une cape de cuir. Il tendit sa main vers le front du troll et entra en communication avec lui.
« Souviens-toi a qui tu es lié, Hébus. Je me demande parfois si tu n'as pas oublié ta mission principale. Ces pirates ne doivent pas interférer dans les affaires de Nebullia. Tu es ici sous mes ordres, et ils sont loi. L'avenir des trolls en dép… »

Il fut interrompu par la soudaine secousse, indiquant que le navire avait finalement accosté, en témoignait le brouhaha au-dessus de leurs têtes, signalant la joie et l'ivresse d'en découdre de ces forbans.
Pris au dépourvu, l'Ombre se contenta de faire rougir l'aigle tatoué sur la poitrine du troll, le brûlant une nouvelle fois pour lui rappeler son appartenance. Puis il disparut comme il était venu, reculant cette fois-ci dans l'ombre des tonneaux empilés derrière lui, ne laissant le temps au troll que d'entrevoir ses yeux luisants.
Seule la brûlure à sa poitrine le persuada qu'il n'avait pas rêvé l'apparition d'Arminas Oronar Gulr.



Plus haut sur le pont, les pirates s'armaient de leurs sabres, grappins, et autres armes qui leur permettraient de prendre possession du fort de leurs ennemis.
Criant et jurant, ils se lancèrent à l'assaut, esquivant du mieux qu'ils purent le déluge de flèches qui s'abattait déjà sur eux.
Les plus téméraires atteignaient déjà les protections du fort, tranchant et brisant les os des chefs blistères, rendant muettes ces armes destructrices, tandis que les autres usaient les premières lignes d'en face.

Le Cap'tain avançait, impassible et stoïque, jusque devant la grande porte du fort. Ouvrant largement les bras, un grand sourire aux lèvres :
« Je ne souhaite pas votre mort, ouvrez les portes, et quittez les lieux sur le champ, reconstruisez un fort sur la terre ferme, là où ils ont leur place, et jamais plus vous n'aurez affaire avec la Flotte du Kraken, fois de Cap'tain ! »

Pour toute réponse, il n'eut qu'une flèche sifflante qui vint se planter à ses pieds.
Reculant légèrement d'un pas, il s'adressa à ses compagnons :
« Allez le chercher… »

Il but une nouvelle gorgée de rhum, dont la bouteille émit un « bloump » lorsqu'il la déboucha.



Entrant en trombe dans la cabine, Hayes atteignit le hamac qui se balançait lentement :

« Hébus ! Réveille-toi, le Cap'tain t'attend ! Nous avons besoin d'aide ! »
« ZzzzzZZZZzzz… »
« Hébus, fichu troll ! Débout ! »
Menaça-t-il en remplissant le petit godet d'eau situé proche du troll, et au-dessus duquel était indiqué « à n'utiliser qu'en extrême urgence ».
« Beeeurp, pas le foie… »
« La foi tu veux dire ? »
« Pareil. »
« Lève-toi, je te dis ! »
dit-il en faisant tomber une goutte d'eau sur le sol.

Le bruit fit sursauter le troll maussade, qui se redressa, saisissant sa massue.
Il se mit en marche, non sans donner une belle baffe à Hayes au passage.
« Pour m'avoir réveillé. » Dit-il en passant devant un Hayes figé sur place, se massant une joue douloureuse.

Ouvrant la porte du quartier de l'équipage en grand fracas, Hébus cria sa joie d'un puissant hurlement.
« BWAAAAAH ! C'est l'heure d'éclater des têtes contre des murs ! »

Il enjamba d'un saut le bastingage, atterrissant avec souplesse sur le sol rocailleux et vint se place aux côtés du Cap'tain.

« Tu en as mis un temps, Troll puant. »
« Bwep. »
« Tu es prêt ? »
« Bwep. »
« Alors amuse-toi. »
déclara le Cap'tain reculant à nouveau d'un pas, tandis que le troll fonçait vers la porte d'une foulée incroyablement leste pour son poids.

La pluie de flèche repris de plus belle, cinglant l'air proche de lui, se fichant souvent près de ses pieds noueux, parfois se plantant dans la chair de ses bras et de son dos.
Ignorant les piqures, Hébus atteignit finalement la grande porte, faisant cesser les attaques.

Furieux, il hurla aux portiers :
« Petits cochons ! Laissez-moi entrer, ou bien je vais taper et taper et la porte finira par céder ! Alors j'entrerai et vous casserai la gueule. »

Derrière lui, le Cap'tain et le reste de l'équipage se fendirent d'un large sourire.


N'ayant aucune réponse, le troll amorça le décompte approximatif :

« Un… Quatre… Dix… TROIS ! J'arriiiiive ! »

Et il entreprit de défoncer la porte à grands coups de massue.

BOUM ! BOUM ! BOUCRAAAKM ! La porte vola en éclats, la massue se coinçant dans le grand interstice nouvellement créée. Un mouvement encore plus violent, il l'arracha finalement, laissant la porte grande ouverte.

« A l'abordaaaage ! » hurla-t-il, massue au vent, écrasant sur son passage les adversaires qui lui faisaient face.
Tout l'équipage se tourna vers le Cap'tain, qui, dégainant son sabre, répéta les paroles de son fidèle second, avant que tous ne se précipitent à l'intérieur des remparts.

Au rythme des cris de guerre et de l'acier tranchant les membres, on voyait s'amonceler les cadavres.

« Le Troll a l'air en forme, hein Cap'tain ? »
« On dirait bien, Marvel. »
répondit-il en perçant l'un de ses adversaires d'un coup d'estoc, tandis que son comparse de toujours en décapitait un autre.

A plusieurs mètres devant eux, Hébus laissait libre cours à sa rage, frappant sans relâche chaque homme à sa portée, tourbillonnant pour ne pas perdre l'élan de sa course, il fendait la foule comme un couteau coupant du beurre, ne laissant derrière lui qu'une traînée sanguinolente, et des corps déformés par la violence des coups de massue.

Lorsqu'enfin, il atteignit le cabinet du Capitaine du Fort, sur laquelle il donna un puissant coup d'épaule qui la fit sortir de ses gonds. Il exécuta une magnifique roulade, et se releva la massue tendue à quelques centimètres du nez de son adversaire, sur lequel il souffla légèrement.

L'odeur fit évanouir le Capitaine du fort, ce qui fit marrer le Troll.
« Hébus ! Epar… »
Le Cap'tain s'interrompit, dépité, lorsque le troll surpris, lâcha sa lourde massue sur le crâne de leur ennemi qui éclata en morceaux, répandant des morceaux de cervelle sur le sol pavé en un sinistre bruit.
« …gne-le. Bon, tant pis. » Il se tourna vers le reste de l'équipage qui eux aussi les avait rejoints. « Pillez le fort, mes amis ! Ramassez tout ce qui peut l'être, et chargez-en la cale jusqu'à ce qu'elle en dégueule ! »