Il est des histoires que l'on raconte le soir près du feu pour se faire peur.
Mais les plus terrifiantes, sont celles que l'on n'ose pas raconter.
Elles sont celles dont on se remémore en tremblant, malgré les flammes rassurantes qui virevoltent autour du petit groupe d'amis courageux. Celles qui nous font sursauter lorsqu'une bûche crépite, envoyant dans les airs des étincelles qui s'envolent et divaguent comme nos pensées.
Baduk, Royaume de Lodaran, 87 ans auparavant.
Dans l'immense propriété des Mivomar, les rires de quatre jeunes enfants résonnaient contre les murs du manoir familial.
Celui-ci était d'une taille colossale, haut de trois étages, il comprenait trois ailes, et une multitude de fenêtres. Une fontaine de marbre avait été bâtie au centre du parc avant, où de nombreux paons d'un blanc immaculé vivaient en semi-liberté. Ce soir-là, la pleine lune scintillait dans l'eau secouée de remous. Dans la cour arrière, on entendait roucouler au travers des minuscules fenêtres du pigeonnier des dizaines d'oiseaux.
Et pour finir, le vent faisait bruisser les feuilles des milliers de buissons qui dessinaient un gigantesque labyrinthe végétal.
En ce soir de fête, le jeune Dovaras avait eu l'autorisation de ses parents d'inviter deux amis et de passer la nuit dans le jardin arrière de la demeure. Ils s'étaient installés devant le labyrinthe et avaient tendu une toile de chanvre au-dessus de deux piquets de bois enfoncés dans le sol en guise d'abri, devant lequel ils avaient allumé un petit feu de bois autour duquel ils étaient à présent réunis en cercle.
Visiblement, les trois garçons assis autour du feu attendaient quelque chose.
Ils eurent un mouvement de sursaut lorsque le quatrième sorti en trombe du pigeonnier, tenant quelque chose entre ses mains. Il referma négligemment la porte du bâtiment d'un coup de pied et aperçu ses amis qui avaient déjà l'air terrifiés. Il avait réussi son effet. Avec un sourire satisfait, il s'approcha lentement d'eux, dans la pénombre de la nuit.
« Alors, t'en as eu un ? » demanda Dovaras en se redressant.
Pour toute réponse, le plus grand montra aux deux autres le pigeon qu'il tenait encore fermement.
« On devrait pas faire ça ! Relâche-le ! » gémit le plus jeune des quatre qui était resté assis au sol, pétrifié.
« Ne fais pas ta poule mouillée, on va juste s'amuser un peu ! » lui rétorqua Daragas
« On va se faire attraper par tes parents, Dovaras ! »
« Mais nooon, mes parents n'en sauront rien ! Tais-toi Arminas. Vas-y Venaras, fais-le ! »
« Alors il faut que vous vous teniez la main, tous les trois, pendant que moi, au centre, j'exécuterai le rituel. »
Bon gré mal gré, tous obéirent, même Arminas, dont la petite main tremblait en prenant celles de ses amis.
« Seigneur Caloditeum, de par ta grâce, concède nous, nous te supplions, la force de concevoir dans nos esprits et d'exécuter ce que nous désirons, les fins que nous atteindrons par ton aide, Ô Puissant Caloditeum, le seul Vrai Dieu qui vivra et règnera pour toujours. Nous te supplions d'inspirer Cialoth et Erog à se manifester devant nous afin qu'ils puissent nous donner une réponse fidèle et véridique, pour que nous puissions accomplir notre but désiré, pourvu qu'il soit propre à sa fonction. Ceci que nous demandons respectueusement et humblement en Ton Nom, Seigneur Satan, que Tu nous en juge digne. Par le prix du sang versé, accepte cet humble sacrifice, ou bien que Ta colère fasse Justice. »
Une fois sa prière terminée, Venaras sorti un petit couteau d'argent de sa poche, et saigna le pigeon qui fit vainement battre ses ailes pour la dernière fois. Lorsqu'il parvint à sectionner la tête du reste du corps, Venaras leva le cadavre à la lune et le porta à ses lèvres et bu une gorgée de sang, puis il tendit le pigeon décapité à Daragas, qui, non sans dégoût, l'imita.
Il proposa ensuite l'animal à Dovaras qui ingurgita une lampée de sang après avoir hésité quelques secondes. Il eut un haut-le-cœur et s'essuya la bouche d'un revers de la main couverte de sang, qui n'eut pour effet que d'en étaler un peu plus sur son visage.
Enfin vint le tour du jeune Arminas, qui attrapa fébrilement le pigeon, sous le regard insistant des trois autres. Prenant son courage à deux mains, il souleva l'oiseau au-dessus de sa bouche grande ouverte, où tomba un mince filet du liquide écarlate. Il toussa, mais avala également sa portion, avant de tendre le cadavre exsangue à Venaras, qui le jeta sans cérémonie dans le feu.
Tandis que la bonne odeur de volaille grillée laissait peu à peu place à celle, beaucoup moins agréable, de la viande carbonisée, les quatre enfants attendaient que quelque chose se passe.
Mais, voyant que rien ne venait, Daragas rompit le silence.
« Pfff, il s'est rien passé, j'en étais sûr ! Et puis d'abord, c'est qui, Caloditeum ? Et ces démons, Cialoth et Erog ? Je suis sûr qu'ils existent même pas ! »
Impatient, Veramas cessa d'observer les moindres recoins du jardin à la recherche d'une quelconque apparition.
« Mais si ! Je te dis que j'ai vu cette prière dans un grimoire de mon père ! Les Tables de l'occulte, ou quelque chose dans ce genre. Je comprends pas, ça aurait dû marcher ! »
« Chut ! Vous avez entendu ? » dit Dovaras en retenant son souffle.
Tous l'imitèrent, scrutant les ténèbres avec appréhension.
« C'est rien, ça devait être les pigeons. »
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