L'écrin de verdure était imposant, dense alors que je marchais déjà depuis de longues heures dans cette forêt sauvage et difficile. J'étais entouré d'arbres massifs, aux branchages étoffés, lourdement ancrés dans le sol, les cimes filant droit vers les cieux. Il n'y avait pas de sentier à emprunter, enfin il n'y en avait plus en réalité, les chemins que l'Homme avait pu créer, s'étaient effacés au fil du temps, avalés par la végétation vorace alors je trébuchais souvent sur les racines et les pierres que les premières soulevaient. La flore partageait ainsi les lieux avec une faune tout aussi fournie, le petit gibier abondait, le craquement et le frémissement des fougères trahissaient leur présence parfois couverte par le piaillement assourdissant des nombreux oiseaux qu'abritait la sylve éblouissante... Quant aux bestioles un peu plus grosses, l'écorce de quelques arbres, entaillée profondément de griffures et autres coups de défenses présageaient de belles prises de chasse.

Je ne m'étais pas engouffré dans cette forêt en quête d'un trophée, ni même de nourriture, non je m'égarais volontairement dans ce labyrinthe de bois pour retrouver une chose bien précise, j'étais là pour raviver une bride de mon passé. Alors je marchais, inlassablement, serpentant entre les troncs, passant au fil de ma lame les végétaux qui barraient parfois ma route puis j'avançais, coûte que coûte. Et dire que j'étais parti au petit matin, pensant pouvoir faire l'aller-retour dans la même journée, une idée qui s'était éteinte lorsque je jetais un oeil vers les cieux et que les rares rayons qui arrivaient à percer la canopée, se teintaient d'orange, le costume du crépuscule. Je pressais alors le pas aussi vite que je pouvais jusqu'à toucher au but, la vue devant moi se dégageant presque subitement, je mettais le pied dans ce qui semblait être une petite clairière, paisible et isolée.

Derrière moi, le soleil éclairait la voûte de ses derniers rayons et disparaissait là où mon regard ne pouvait porter. J'étais exténué mais soulagé de sortir de ce bois sans fin, d'apercevoir un semblant d'horizon, vraiment ce petit havre me mettait du baume au coeur. J'avançais alors vers le milieu de ce champ, le pas traînant dans l'herbe haute, où se tenait une bâtisse, enfin les ruines d'une bâtisse. Un ancien bâtiment militaire qui abritait une confrérie, celle des Ashairo. Connue de personne, elle m'était pourtant familière et c'était leur marque que je portais au creux de ma main, ce signe aussi s'était estompé avec le temps mais il restait visible, très légèrement. La caserne tenait à peine debout, la charpente avait cédé, le bois pourri en devait être la cause, quant aux murs, ils se faisaient mangé lentement par le lierre et autres plantes grimpantes qui s'immisçaient dans les failles d'un mortier usé. Le sol était jonché de mauvais herbes, le lichen aussi s'y plaisait, bref, c'est logiquement et doucement que la nature y avait repris ses droits.

L'obscurité posait son voile sur les lieux et j'allumais une torche en réplique, la lumière des flammes m'offrant alors la visibilité nécessaire pour progresser. J'avançais prudemment, flambeau en avant alors que le craquement soudain et sec sous mon pied était celui d'une grande porte qui autrefois scellait l'entrée. C'est presque triste que je la franchissais et pénétrait dans la demeure même. Je m'aventurais alors difficilement entre ces débris mais je parvenais à reconnaître les pièces assez facilement, au moins le temps n'avait pas effacé ça. Sur la gauche se trouvait le poste des gardes, il en restait presque rien, les murs étaient à moitié tombé sur le mobilier, l'autre moitié recouverte de verdure, une pièce abandonnée, devenue bien sinistre. Sur la droite, il n'y avait pas grand chose, un espace ouvert où quelques râteliers d'armes rouillés tapissaient le sol. Mais je n'étais pas venu pour visiter une ruine, en simple badaud, non, la pièce qui m'intéressait était dans l'angle Nord-Est de la caserne et de ma position, je la voyais clairement avec ses épais et solides murs.

Je me faufilais entre les poutres et les pierres érodées par la pluie et le vent mais je restais prudent et consciencieux dans mes gestes. Alors que ma présence faisait déguerpir quelques rats qui avaient élu domicile sous les décombres, je venais enfin à bout de ces gravas plutôt encombrants. Je posais le pied alors dans ce qui était jadis l'armurerie, d'ailleurs même une personne lambda n'aurait pas eu de mal à deviner la fonction de cette pièce tant elle semblait épargnée par les ravages de la végétation et du temps. Les bustes en bois arboraient encore leur armures de plaques, sur le vieil établi était empilé en quinconce une multitude de lames courtes dépourvues de manches, de l'autre côté, posé contre le mur, un râtelier plein d'épées bâtardes rouillées... Tout semblait intact, vierge de pillage et c'était donc fier que je touchais au but, j'avais enfin trouvé ce que je cherchais.

Je m'avançais vers le mur Ouest et m'arrêtais tout proche de lui, pour le regarder, l'examiner à la faible lueur de ma torche. Je cherchais une pierre, d'une teinte légèrement différente des autres, volcanique, sombre mais les flammes du flambeau étaient trop frêles pour la distinguer nettement, je peinais alors dans ma tâche, tâtonnant presque aveugle et ridicule sur l'instant. Soudain, une brique s'enfonçait profondément sous mes doigts et un pan du mur s'écroulait dans un bruit sourd. Je restais statique, un peu étonné par ce qu'il venait de se produire mais je venais enfin de trouver le passage des Ashairo. Le mur écroulé laissait alors apparaître un escalier en colimaçon, qui descendait vers les profondeurs de la terre... Ce que j'avais appris dans ces vieux grimoires était donc vrai jusqu'ici, je regardais une dernière fois l'armurerie puis m'armais de mon courage avant d'emprunter ces marches, guidé par les flammes timides de ma torche, en espérant que la suite s'avère tout aussi vrai...

A suivre.