J'écris à la belle étoile où le poids des mots n'a aucune importance dans cette immensité effrayante. Là, en tailleur dans l'herbe fraîche avec la lumière d'un astre absent que me renvoie la lune pleine, je me moque de tout, de rien, de moi surtout. J'ai l'esprit léger ce soir, comme la brise froide qui porte les prémices d'un hiver plutôt doux et qui me rafraîchit les joues.

"Je me moque de ma vie d'homme triste, sous ces cieux étoilés, le nez toujours fourré dehors, l'oeil hagard, embuée par l'alcool, à faire la carpette devant une porte, trop bourré pour rentrer. Je suis l'homme de l'ombre, celui qui aboie mais ne mord pas, pas assez sérieux pour être craint, pas assez craint pour être pris au sérieux. Je suis l'insolent, celui qui blesse pour un oui ou pour un non, aux mots toujours lourds et pesants, résonnant comme une fatalité alors qu'ils ne sont que futilités.

Alors je me moque de ma vie d'homme triste et je me souviens qu'enfant, c'est sous ces même cieux que je me rêvais, grand et fort, puissant et charismatique. Comme l'enfant s'imagine une légende, je me voyais sans défaut, immortel et envié de tous. Un mythe que les ménestrels chanteraient à tue-tête lors de banquets royaux, vantant mes exploits héroïques et mes combats glorieux. Je m'imaginais surement heureux, avec une épouse et des enfants que je chérirais, comme dans les contes que l'on trouve dans les vieux manuscrits poussiéreux. L'insouciance m'aurait fait voyager, loin derrière l'horizon, là où l'esprit nous porte et le coeur nous mène...

Mais finalement, j'en ai rien à carrer de ma vie d'homme triste, de ce sombre bâtard que je suis, fils de personne, héros de rien du tout, qui ne voit pas plus loin que le comptoir qui s'offre à lui. Je me moque aussi de ces regards niaiseux, condescendants qui me catégorisent aussitôt comme une raclure sans âme, comme si je n'étais qu'un moins que rien. Je suis la plume de mon âme, la vie a fait ce que je suis maintenant, mais ce n'est pas une chose arrêtée, je peux être différent, moins désolant.

Alors c'est sous ces cieux qu'aujourd'hui je me rêve à devenir cet enfant d'autrefois, sans limites, sans horizon défini, assoiffé d'histoires épiques et de combats mythiques... Mais c'est aussi avec l'insolence de cet homme triste que je vous salue, vous dit adieu, un majeur levé et laisse place à autre chose, de plus vivant."

Je lâche un rire qui se perd très vite dans la nuit et me relève, prenant le chemin d'Héliopolis, amusé et presque rajeuni.