Poussières.

Zerone
Memento mori


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Il y a 8 ans | Le 19 Dec 2015 02:16:02
A la lueur d'une bougie presque consumée et à l'abri d'un buvard déjà bien éprouvé, ma plume se fatigue, ne savant plus où elle va, ni même d'où elle vient. Elle gratte, d'une pointe solitaire et usée, ce parchemin qui se noircit sous son passage. Elle défile, mécanique, dans le mouvement d'un poignet meurtri sous la pulsion d'un écrit soudain. L'extrémité creuse alors le papier, l'éreinte dans un frottement assez désagréable. Pas de sujet précis en tête, juste l'envie de se vider l'esprit, de figer sur le papier la fulgurance d'une image, d'emprisonner l'essence d'un désir naissant dans un trait d'encre.

La plume plonge et se gorge de mon âme, les émotions et les souvenirs se débattent puis surgissent alors de l'encrier, en points, en mots écorchés et en phrases agitées. Quelques mots pour esquisser une vie passée alors que d'autres ébauchent les prémices d'un avenir incertain. Le noir s'écoule ensuite, étalant mes sentiments du moment et marque de sillons sinueux, un papier torturé par des coups brutaux en ratures précipitées. Ma main s'agite dans cet exutoire, crispée et frénétique, puis se libère de cette douleur dans un point final exultant.

Ma plume tombe alors et mon regard se pose, léger et curieux, sur la synthèse d'un instant rare où l'on pose tout à plat. Mes yeux se promènent, serpentent entre les mots, lisent entre les lignes et je reste surpris et étonné de l'effet donné.


"A l'orée d'un matin, seul à mon habitude, je m'essaie à la plume. Le sommeil m'a fui et mes rêves s'en sont allés avec lui. Alors je suis là, assis calmement sur ma chaise sous le regard timide d'un astre fait de mèche et de cire. Dehors, les jours sont tristes et les nuits sont mortes. Et c'est dans cette nuit calme, vide, comme j'en vis souvent depuis un petit moment maintenant, que j'écris.

Avant, je m'occupais lorsque l'insomnie pointait le bout de son nez, je descendais dans mes ateliers puis je martelais le métal, chaque coup donné m'amenait alors l'idée du suivant et je façonnais, inspiré.
Avant ça, je m'adonnais à la séduction lorsque la solitude se faisait trop présente, je me promenais dans les quartiers animés puis je faisais la cour, chaque flatterie me conduisait au compliment suivant et je papillonnais, passionné.

Aujourd'hui, je ne suis qu'une Ombre parmi les ombres et je suis là, assis stupidement sur cette chaise, troquant l'enclume pour une plume fébrile et une femme pour une flamme chétive. Je m'ennuie vraiment, à chaque instant que je vis alors j'écris bêtement cet étrange ressenti. Je l'inscrit concrètement sur cette feuille, folie d'un utopiste croyant qu'une plume puisse lever un fardeau si lourd. Mais qu'ai-je à perdre si ce n'est ce temps que je cherche à fuir...

Rien au final."

Les mots sont posés et le soleil commence doucement à se lever. Je ne suis pas soulagé pour autant, juste fatigué et lassé de tout ça. J'approche alors le parchemin de la bougie mourante et l'enflamme. Les flammes s'emparent du papier rapidement et leurs couleurs changent alors qu'elles dévorent l'encre avant de les voir venir lécher mes doigts. Je relâche ce qu'il reste du papier qui tombe en une pluie de cendres sur mon bureau...

Aussi, je regarde, résigné et abattu, ce tas de poussières, qui résume bien mieux ma vie à cet instant que ce qu'il n'était, quelques secondes auparavant.

Wise


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Il y a 8 ans | Le 28 Dec 2015 05:10:10
Superbe!