Solitude et châtiment

Mieren


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Il y a 9 ans | Le 27 Nov 2014 22:05:37
Cela faisait quelques temps maintenant que je voyageais. D'abord Baduk, où la sérénité était reine. L'action s'y faisait rare, mais on y restait pour s'instruire, avant tout. Les nombreux ouvrages poussiéreux que l'on avait la chance d'ouvrir dans les quelques bibliothèques nous apprenaient comment préparer la suite. Apprendre les bases, avant d'aller plus loin, en fait. Au nord, une merveille de la nature m'avait échappé, mais j'y retournerais prochainement pour la découvrir de mes yeux. C'était un endroit que je n'avais pas visité; bref, ce n'était que partie remise. Ensuite, vinrent les terres désertes de Kedok. Je ne fis que les traverser, mais elles eurent tout de même raison de mes bottes : usées, salies, brûlées par des gelées de blobs en furie qui avaient trouvé refuge non loin de l'auberge où je résidais à l'occasion de mon petit périple. Heureusement, ma camarade Lucy était toujours là pour prendre soin de mes tenues comme de ses propres atours. Ce fut donc fagoté correctement que j'entrepris mon voyage jusque Boudok. Les dangers y furent plus grands, les monstres plus féroces, et quelques vallées plus étroites. Des endroits où la mort pouvait poindre à n'importe quel instant. Elle faillit d'ailleurs m'emporter plusieurs fois, la bougresse, lorsque je fus pris au milieu de la course d'un troupeau de buffles, par exemple. Deux fois, pour couronner le tout... Mais je n'eus pas le choix, c'était le passage obligé si je voulais rejoindre le gîte le plus proche. Le choc fut assez brutal, passer de l'herbe verdoyante des plaines au sol cendré et tiède. L'air m'étouffa. J'arborai d'ailleurs un masque pour pallier à cette gêne. J'avançai parfois à tâtons, tant mes yeux piquaient. Arrivé, je dus encore me débarrasser d'une horde d'araignées très bien adaptées à leur environnement pour enfin pousser les portes de l'auberge. Ça n'allait pas être de tout repos, ici.

Le matin suivant ma venue, par la fenêtre de ma chambre, je me surpris à confondre l'aube avec les vapeurs du volcan. Je crus à un soleil éclatant en train de se lever, alors que ce n'était que des jets de flammes et de lave qui éclairaient le ciel encore noir. L'éruption était à la fois angoissante et magnifique. D'où je me tins, au pied de la montagne, on aurait cru les fumées vivantes, tant le feu paraissait vivace. Seulement, il n'y avait pas un bruit, du moins, lié au phénomène. On entendait juste le cri des Phoenix qui virevoltaient autour du cratère, les ailes déployées, alors qu'ils semblaient n'être que des ombres au milieu du nuage de cendres. Malgré la bonne heure, les premières lueurs du jour n'allaient pas tarder à arriver. Inutile donc de retourner se coucher. Le jour ajoutait sa petite touche personnelle à la chaleur ambiante déjà excessive à mon goût. Préparer mon barda me fit suer. Le patron de l'auberge m'offrait la chambre et le couvert à une seule condition : que je fasse le ménage aux alentours. Il n'en pouvait plus des arachnides qui pullulaient. Bien que j'eus largement les moyens de payer mes nuits, j'acceptai volontiers. J'avais, de toute façon, la ferme intention de m'entraîner dans les environs. Chose que je gardai pour moi, bien entendu. Je choisissais avec soin des conditions extrêmes pour mes préparations. Là, ce fut idéal. J'allais pouvoir me renforcer, afin d'être prêt à poursuivre mes pérégrinations plus à l'ouest.

Après ma première séance, qui fut aussi ma première vraie journée dans la région, je revins exténué à l'auberge. La veille, je n'avais pas fait attention au nom que lui avait donné son propriétaire. Une inscription au dessus de la porte : La Nuitée Enflammée. Je fronçai les sourcils, puis rejoignis la chambre qui m'était allouée. Était-ce le même genre d'auberge que je me destinais à ouvrir à l'avenir ? Était-ce donc un concurrent ? Pour en avoir le cœur net, je descendis dans la salle commune pour y trouver le gérant, puis le questionnai.

Dis-moi, mon brave, dans ton établissement, là... est-il possible d'y trouver... comment dire... de la bonne compagnie ?

Il me dévisagea, un air étonné sur le visage. Je compris que non. J'étais à la fois soulagé, pour ma future entreprise, mais aussi déçu; la présence des femmes se faisait rare, et je n'aurais pas été contre une nuit... "volcanique". Je ne l'ennuyai pas plus longtemps et retournai dans ma chambre.

La fatigue d'hier m'avait fait oublier le supplice d'une nuit supplémentaire de solitude. Les soirées, ici, étaient brûlantes, l'air suffoquant, de la sueur perlait sur mon front. Ceci me rappela soudain mes exactions passées, que je tentai de réprimer rapidement en fermant les yeux. Cette ambiance ne m'aidait pas. Je n'avais trouvé ni la paix, ni le pardon. Au fil des jours, j'essayais de ne pas y penser, de m'occuper l'esprit. Peut-être qu'il fallait guérir le mal par le mal, après tout. Je ne voyais plus que cette solution. J'avais l'impression d'être aux portes de l'Enfer, au pied de cette fournaise. Et le nom de la forge adjacente avait tendance à me conforter dans cette idée pourtant saugrenue. Trouver la rédemption dans le péché, voilà qui serait original. Je réfléchis jusqu'à ce que le soleil ait disparu. Il m'était impossible de dormir, tant à cause de la chaleur que de ces obsessions qui me hantaient et m'oppressaient. Je ne voulais pas d'une victime, je voulais d'une femme. Ce soir, je n'allais pas dormir. J'allais la trouver.

Mieren


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Il y a 9 ans | Le 01 Dec 2014 22:45:44
Et pour cause, car je savais où chercher, précisément. Un jour, j'avais, comme tout un chacun, entendu le récit d'un marin saoul au comptoir d'une taverne mal fréquentée. Enfin, le gaillard était plus pêcheur que marin, mais son histoire retint tout de même mon attention. Il la racontait à qui voulait bien l'entendre; et aussi parce qu'il hurlait, je n'en ratai pas une miette. L'heureux hasard fut le sujet de son aventure : une femme. Mais pas n'importe quelle femme. D'un apprenti loup de mer, on aurait pu s'attendre à l'apparition d'une sirène, de son chant mélodieux et de la mort d'un équipage attiré par sa voix, ou encore d'un monstre marin gigantesque happant un navire dans l'impétuosité des flots, mais il ne fut rien d'aussi mirobolant. Au contraire, il brossa le portrait d'une créature à la beauté sans pareille, et malgré qu'il beuglait, il arrivait à décrire le calme qu'il souhaitait dépeindre. La situation fut assez cocasse. J'étais tout ouï; je voulais en savoir davantage, et il n'y avait qu'une chose à faire : le laisser parler.

Pour commencer, à défaut de mer infinie ou d'océan déchaîné, il fallut se contenter d'un lac comme décor. Et d'une île. J'essayai tant bien que mal de me figurer le tout. L'action se déroula lors d'une sortie paisible en barque, au crépuscule. Allongé dans sa périssoire, il tenait sa canne entre la semelle de sa botte et une planche qui lui servait à s'asseoir lorsqu'il devait ramer. L'eau était calme, presque d'huile, son bouchon flottait et le sommeil commençait à l'emporter. Un courant léger et invisible l'amenait vers la petite embouchure qui conduisait au fleuve, au large de l'île. Les quelques blobs d'eau présents se fondaient avec la surface au point qu'on ne les distinguait plus, au couchant. Soudain, un bruit, comme quelque chose de lourd qui venait de tomber dans l'eau, sauf qu'à l'inverse, quelque chose venait d'apparaître, venait de sortir du lac. L'arrivée spectaculaire de la créature remua la frêle embarcation et fit jaillir de l'eau à des dizaines de mètres autour d'elle. Ce fut la violence des gouttes sur son visage qui le fit sursauter. Sa canne tomba à l'eau alors qu'il tentait de se redresser, surpris comme jamais. Il cligna des yeux, plusieurs fois, comme pour se réveiller d'un mauvais rêve, mais la splendeur qui se tenait devant lui, au dessus de l'eau, était bien réelle. À première vue, il crut à un ectoplasme. Un spectre silencieux, magnifique, qui se mouvait comme la houle d'un océan qui s'éveille. Le pêcheur, paralysé par la peur, balbutia quelques mots, s'excusa même. Face à aucune réaction, il se tut et resta pétrifié. Malgré l'effroi, son regard était attiré par cette apparition et ce fut bouche-bée qu'il se leva. Ainsi, sans savoir pour quelle raison, il s'avança vers elle, passa un pied par dessus la culatte et tomba à la renverse dans le lac. Ce qui eut pour effet de le ramener aussitôt à la réalité, bien qu'il se noya quasiment lorsqu'il reprit ses esprits, sous l'eau. Alors qu'il remontait à la surface aussi vite qu'il le pouvait, il s'aperçut que la créature était juste au dessus de sa tête.


Pars ! Je ne te veux pas.

Voici les mots qu'elle lui souffla avant de s'abattre sur lui. L'impact fut si violent qu'il le précipita à nouveau sous l'eau, et lorsqu'il revint prendre son souffle, le monstre avait disparu. À moitié conscient, il réussit néanmoins à se hisser à bord de son canot, dans lequel il perdit connaissance de longues minutes. À son réveil, une forte douleur l'empêcha de revenir rapidement jusqu'aux berges de l'Île du Lac. Il lui fallut plusieurs heures et un effort démesuré pour enfin rejoindre le rivage. Sans trop savoir s'il avait été victime d'un cauchemar horrible ou d'un événement surnaturel, il se réfugia à la taverne. Pour se remettre de ses récentes émotions, il s'enfila d'abord plusieurs pintes de bière – ce qui allait devenir une vilaine habitude à partir de ce jour – et chercha à tout prix quelqu'un à qui raconter ce qui venait de lui arriver. Alors que la plupart des quidams n'avaient rien à faire des états d'âme d'un poivrot fou, quelques autres pêcheurs vinrent à lui pour le calmer, avant tout. Certains rirent et lui assenèrent de grandes claques dans le dos, tandis que d'autres le questionnaient. Ceux-là étaient assez superstitieux et voulaient en savoir le plus possible afin que ça ne leur arrive pas.

Ce qu'ils ignoraient, c'était que ce pêcheur était sans doute le plus chanceux d'entre eux. En effet, ceux qui, par le passé, firent la rencontre de la Nymphe du Lac n'étaient plus en vie pour en parler. On disait qu'on ne l'approchait qu'une seule fois, et que cette fois-là, elle vous emportait avec elle dans les tréfonds du lac. Voilà la splendeur de Baduk dont j'avais entendu parler. C'était elle que je voulais.

Mon sac était prêt, j'attendais les premières lueurs du jour pour prendre la route et partir à sa rencontre.

Mieren


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Il y a 9 ans | Le 10 Dec 2014 22:31:42
Malgré une excellente préparation, plusieurs jours furent nécessaires pour rejoindre Baduk. Les tempêtes et les basses températures n'épargnaient pas les voyageurs imprudents. De nombreuses fois je dus m'abriter à la hâte dans des auberges de fortune pour y passer la nuit au chaud. D'autres fois c'était à la belle étoile, couvert de la tête aux pieds de peaux de bêtes, fouetté par un vent glacial et mordu par le froid. Cependant, puisque j'avais déjà emprunté ces chemins par le passé, je ne perdis pas de temps et pris au plus court. J'arrivai rapidement à l'Île du Lac. La traversée ne se fit pas sans mal mais le canotier que j'avais payé pour l'effectuer fut très efficace. Il connaissait le lac et ses berges comme sa poche. Il me mit d'ailleurs en garde quant à mon objectif ici. Lui-même faisait tout pour éviter de tomber nez à nez avec la nymphe qui logeait dans ces eaux. Toutefois, je n'évoquai pas mes raisons et le remerciai pour ses conseils. Je comptais bien la voir. Téméraire mais réfléchi, je m'étais renseigné au mieux sur cette étrange et merveilleuse créature. De ce fait, j'avais avec moi un petit sac rempli de fioles de lait et un large bouquet de fleurs que je m'étais procuré au Champ Fleuri. Des offrandes que j'offrirais si elle daignait apparaître à mes yeux. J'avais également attaché un trèfle à quatre feuilles à l'intérieur de mon col pour augmenter mes chances de la voir malgré que je ne sois pas du tout superstitieux. Mais s'il fallait l'être une seule fois, c'était maintenant.

Je passai de longues et pénibles nuits bercé par la légère houle qui remuait le lac, sans qu'il ne se passe rien. Je commençai à me demander si toutes les conditions étaient réunies, bien qu'il n'en fallait aucune particulière, en réalité. Je cherchais juste à comprendre pourquoi elle ne venait pas. Mais ma persévérance paya. Une nuit déjà bien avancée, éclairée par une moitié de lune, la nymphe tant attendue apparut dans un vacarme bien plus assourdissant qu'on ne le racontait. Ses jambes, si tant est qu'on puisse dire qu'elle en fut dotée, étaient dissimulées dans une sorte de tourbillon d'eau, qui prenait naissance à la surface du lac et venait l'enlacer au niveau du bassin, comme pour la porter. Et ce, dans un ruissellement à peine audible. Un drap, ou peut-être un simple voile d'eau, enveloppait son buste et descendait jusqu'à son nombril. Une longue chevelure ne laissait dépasser que ses oreilles et tombait jusqu'en bas de son dos. On aurait dit une crinière azur, sauvage et animée, tant elle paraissait flotter dans les airs autour de son corps. Sauf l'écoulement de l'eau, je n'entendis rien de plus après qu'elle ait émergé. Elle resta silencieuse et ce mutisme m'effraya tellement que je restai pétrifié. Le pêcheur avait raison, c'était à la fois magnifique et angoissant. Les bras le long de son corps sublime se murent à peine que je repris mes esprits avant qu'elle n'entreprenne quoi que ce soit d'autre. Ce fut donc avec une rapidité extrême que j'avançai vers la proue de mon esquif pour lui présenter ce que j'avais apporté. La naïade cessa tout mouvement puis me fixa, avant de poser ses yeux sur les dons emballés. Je ne pus détacher mon regard de celle que j'attendais. De nous deux, personne n'aurait pu dire lequel voulait le plus de l'autre. Nos desseins étaient, en évidence, très différents, tout comme nos motivations, mais finalement nous nous voulions.

Toujours dans un calme profond, elle s'approcha puis, soudain, plongea juste devant moi avec une telle puissance que mon embarcation se renversa. Ainsi, cette dernière, retournée, flottait au milieu des remous; je m'y accrochai et m'aperçus que les présents que j'avais apportés n'étaient plus là. Ni à la surface, ni sous l'eau. Tandis que je m'agrippai avec force, je sentis brusquement quelque chose me saisir par les pieds et me tirer sous l'eau. Lutter eut été inutile. Alors que je me pensai perdu, je me retrouvai une nouvelle fois face à la limnade. Je savais que c'était elle qui m'avait plongé dans l'eau glacée, et j'acceptais ce sort. Aussi, je m'abandonnai. Je fermai les yeux et m'apprêtai à laisser le liquide envahir mes poumons pour mettre fin à cet interminable moment. Mon passé défilait sous mes paupières. Je trouvai juste ce qui m'arrivait. À l'instant précis où j'allais prendre une profonde inspiration, la nymphe posa sa main sur ma poitrine. J'ouvris les yeux pour la regarder une dernière fois. Mais ses doigts se crispèrent sur le tissu de mon vêtement, et je fus alors projeté vers le haut. Ce fut dans un éclat semblable au sien que je sortis des entrailles du lac, pour ensuite m'écraser sur le rivage. Malgré le sable, l'atterrissage fut d'une rare violence.

Je restai inanimé longtemps sur la petite plage. À côté de mon corps, on pouvait trouver un flacon qui ne m'appartenait pas. On aurait cru qu'il contenait de l'eau, mais ce n'étaient que mes larmes. La nymphe n'avait pas voulu de moi comme satyre, mais avait eu la bonté de me libérer. Du mal que j'avais infligé, de la tristesse que j'avais provoquée et accumulée tout ce temps.

Cette nuit fut une renaissance.