Cela faisait quelques temps maintenant que je voyageais. D'abord Baduk, où la sérénité était reine. L'action s'y faisait rare, mais on y restait pour s'instruire, avant tout. Les nombreux ouvrages poussiéreux que l'on avait la chance d'ouvrir dans les quelques bibliothèques nous apprenaient comment préparer la suite. Apprendre les bases, avant d'aller plus loin, en fait. Au nord, une merveille de la nature m'avait échappé, mais j'y retournerais prochainement pour la découvrir de mes yeux. C'était un endroit que je n'avais pas visité; bref, ce n'était que partie remise. Ensuite, vinrent les terres désertes de Kedok. Je ne fis que les traverser, mais elles eurent tout de même raison de mes bottes : usées, salies, brûlées par des gelées de blobs en furie qui avaient trouvé refuge non loin de l'auberge où je résidais à l'occasion de mon petit périple. Heureusement, ma camarade Lucy était toujours là pour prendre soin de mes tenues comme de ses propres atours. Ce fut donc fagoté correctement que j'entrepris mon voyage jusque Boudok. Les dangers y furent plus grands, les monstres plus féroces, et quelques vallées plus étroites. Des endroits où la mort pouvait poindre à n'importe quel instant. Elle faillit d'ailleurs m'emporter plusieurs fois, la bougresse, lorsque je fus pris au milieu de la course d'un troupeau de buffles, par exemple. Deux fois, pour couronner le tout... Mais je n'eus pas le choix, c'était le passage obligé si je voulais rejoindre le gîte le plus proche. Le choc fut assez brutal, passer de l'herbe verdoyante des plaines au sol cendré et tiède. L'air m'étouffa. J'arborai d'ailleurs un masque pour pallier à cette gêne. J'avançai parfois à tâtons, tant mes yeux piquaient. Arrivé, je dus encore me débarrasser d'une horde d'araignées très bien adaptées à leur environnement pour enfin pousser les portes de l'auberge. Ça n'allait pas être de tout repos, ici.
Le matin suivant ma venue, par la fenêtre de ma chambre, je me surpris à confondre l'aube avec les vapeurs du volcan. Je crus à un soleil éclatant en train de se lever, alors que ce n'était que des jets de flammes et de lave qui éclairaient le ciel encore noir. L'éruption était à la fois angoissante et magnifique. D'où je me tins, au pied de la montagne, on aurait cru les fumées vivantes, tant le feu paraissait vivace. Seulement, il n'y avait pas un bruit, du moins, lié au phénomène. On entendait juste le cri des Phoenix qui virevoltaient autour du cratère, les ailes déployées, alors qu'ils semblaient n'être que des ombres au milieu du nuage de cendres. Malgré la bonne heure, les premières lueurs du jour n'allaient pas tarder à arriver. Inutile donc de retourner se coucher. Le jour ajoutait sa petite touche personnelle à la chaleur ambiante déjà excessive à mon goût. Préparer mon barda me fit suer. Le patron de l'auberge m'offrait la chambre et le couvert à une seule condition : que je fasse le ménage aux alentours. Il n'en pouvait plus des arachnides qui pullulaient. Bien que j'eus largement les moyens de payer mes nuits, j'acceptai volontiers. J'avais, de toute façon, la ferme intention de m'entraîner dans les environs. Chose que je gardai pour moi, bien entendu. Je choisissais avec soin des conditions extrêmes pour mes préparations. Là, ce fut idéal. J'allais pouvoir me renforcer, afin d'être prêt à poursuivre mes pérégrinations plus à l'ouest.
Après ma première séance, qui fut aussi ma première vraie journée dans la région, je revins exténué à l'auberge. La veille, je n'avais pas fait attention au nom que lui avait donné son propriétaire. Une inscription au dessus de la porte : La Nuitée Enflammée. Je fronçai les sourcils, puis rejoignis la chambre qui m'était allouée. Était-ce le même genre d'auberge que je me destinais à ouvrir à l'avenir ? Était-ce donc un concurrent ? Pour en avoir le cœur net, je descendis dans la salle commune pour y trouver le gérant, puis le questionnai.
Dis-moi, mon brave, dans ton établissement, là... est-il possible d'y trouver... comment dire... de la bonne compagnie ?
Il me dévisagea, un air étonné sur le visage. Je compris que non. J'étais à la fois soulagé, pour ma future entreprise, mais aussi déçu; la présence des femmes se faisait rare, et je n'aurais pas été contre une nuit... "volcanique". Je ne l'ennuyai pas plus longtemps et retournai dans ma chambre.
La fatigue d'hier m'avait fait oublier le supplice d'une nuit supplémentaire de solitude. Les soirées, ici, étaient brûlantes, l'air suffoquant, de la sueur perlait sur mon front. Ceci me rappela soudain mes exactions passées, que je tentai de réprimer rapidement en fermant les yeux. Cette ambiance ne m'aidait pas. Je n'avais trouvé ni la paix, ni le pardon. Au fil des jours, j'essayais de ne pas y penser, de m'occuper l'esprit. Peut-être qu'il fallait guérir le mal par le mal, après tout. Je ne voyais plus que cette solution. J'avais l'impression d'être aux portes de l'Enfer, au pied de cette fournaise. Et le nom de la forge adjacente avait tendance à me conforter dans cette idée pourtant saugrenue. Trouver la rédemption dans le péché, voilà qui serait original. Je réfléchis jusqu'à ce que le soleil ait disparu. Il m'était impossible de dormir, tant à cause de la chaleur que de ces obsessions qui me hantaient et m'oppressaient. Je ne voulais pas d'une victime, je voulais d'une femme. Ce soir, je n'allais pas dormir. J'allais la trouver.