Une pluie aussi soudaine que violente s'abattit sur le port. Les frêles embarcations tanguaient sous la force de la houle, provoquée par un vent fort et froid qui faisait claquer les voiles des navires les plus solides. Les quais s'inondèrent rapidement, ainsi les badauds se réfugièrent aussi vite que possible dans les bâtiments alentour. Soit dans le temple pour les plus pressés, soit dans l'auberge pour les plus malins. L'eau qui tombait avait cet avantage de retenir le sable que les bourrasques soulevaient de la plage toute proche. Plage balayée par des vagues d'une rare puissance. Le gérant de l'échoppe remballa ses marchandises et se mit à l'abri, après avoir soigneusement fermé sa boutique. La forge n'avait rien à craindre, elle n'avait plus été en activité depuis bien longtemps, à en voir l'état de la cheminée et les dépôts de sel sur l'enclume. C'était devenu un commerce comme un autre qui tentait d'attirer les jeunes aventuriers avec des armes et armures en bien piètre état. Si elle tenait encore debout, c'est qu'elle trouvait bien des clients à qui vendre ces horreurs, cela dit. Les fenêtres de l'auberge paraissaient des halos jaune pâle, derrière le rideau d'eau de l'ondée.
J'avais choisi la taverne pour éviter de finir détrempé. Des gouttelettes coulaient du bord de mon chapeau alors que je pénétrais dans la bâtisse, forcément animée et bruyante. Chose que je n'appréciais pas spécialement, mais avec laquelle j'allais composer jusqu'à ce que le déluge cesse. Ma gabardine gouttait, elle aussi. Je balayai rapidement l'endroit du regard, choisis une table puis m'y installai. J'ôtai mon vêtement et le déposai sur le dossier de la chaise. Les marins forcés à rester à terre occupaient toute l'attention de la seule serveuse du bouiboui. On ne s'entendait plus causer, entre le brouhaha ambiant et l'averse qui fouettait le toit. Je dus attendre plusieurs minutes avant de voir poindre le nez de la maritorne qui me demanda sèchement ce que je désirais boire. Ce n'était pas la soif qui m'avait amené ici, mais — outre la flotte qui tombait — le besoin de retrouver quelqu'un. Juste avant que le temps ne tourne, sur les quais, j'avais demandé à un dénommé Morando, , mais ce dernier m'avait rembarré. Puisque presque toute la population du port de Baduk était réunie ici, maintenant, c'était l'occasion de glaner des informations.
Je posai un regard indifférent sur les formes de la domestique, plantée devant moi, avant de lui adresser la parole.
"Grobaril" ? Ça te dit quelque chose ?
Elle fit une sorte de moue puis haussa les épaules.
D'accord. Sers-moi un bock... de lait... tiède.
Elle ne parut nullement surprise par ma commande puis s'exécuta.
Il fallait que je trouve quelqu'un qui pourrait m'aiguiller. Ce Grobaril, aussi avare que soumis à sa dame, m'avait promis des choses. J'avais bien l'intention de faire en sorte qu'il honore ses engagements.