La prunelle de mes yeux

Kasÿan Orasar Gulr
Elevatis Ombrae


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Il y a 9 ans | Le 20 Jun 2014 05:25:12
Les battements de mon cœur résonnaient dans mon crâne à toute vitesse. J’avais même l’impression que mon cerveau cherchait à s’extirper de celui-ci tout comme mon cœur de mon thorax. Les milliers de grains de sables dans les quels je me tordais de douleur s’accrochaient à ma peau bouillante et dégoulinante de sueur. Tout mon être me démangeait, mais le pire restait ma tête. Je m’arrachais presque la peau, c’était comme si un parasite était là juste en dessous de l’épiderme, je forçais encore et encore mais il était inatteignable, impossible de m’en défaire. Les hurlements de douleur qui s’échappaient de ma bouche étaient plutôt lourds à supporter même pour mes propres tympans. Un court instant, une demi-seconde pendant laquelle la douleur était moins forte je me surpris même à penser que ces cris d’horreurs étaient plus terrifiants encore que mes grognements de lycan. A peine eussè-je le temps d’y réfléchir que les sifflements et les bourdonnements incessants reprirent de plus belle.

Durant mon interminable exil je développais fréquemment des crises passagères dû à une maladie de l’esprit qui jusqu’alors m’avait été incurable, du moins le seul remède susceptible de me soigner n’était pas à ma portée, mais j’arrivais à maîtriser la souffrance tant bien que mal. Hors cette fois je ne contrôlais plus rien, je me tortillais, je me débattais, j’étais horrifié. La haine m’avait mené à la peur, la peur d’être devenu un lâche et un couard incapable de réagir et de laver son honneur. La culpabilité me dévorait de part en part, leurs satanés sarcasmes résonnaient en boucle dans ma tête, ricochant à chaque coin de mon crâne et amplifiant la douleur à chaque instant. Foutues araignées, elles ne me laisseraient donc jamais en paix.

La douleur finit par atteindre un pic, le point de non retour comme pourraient le comprend certains. Je n’en pouvais plus j’étais dépasser par les évènements je n’étais plus le maître. Mon corps opérait la métamorphose, mais c’est comme si du poison l’empêchait de fonctionner correctement. Mes os se brisaient, ma mâchoire se déformait puis revenait en place, du sang s’écoulait de mes yeux j’avais presque l’impression que mes pupilles elles même coulaient sur mon visage. Je fus pris de spasme, mes muscles tressaillaient, se contractaient puis relâchaient ! Ils me brulaient de part en part, je les sentais se déchirer avant de guérir et déchirer de nouveau. La lycanthropie me sauvait la vie d’un coté, mais d’un autre contribuait activement à ma souffrance, m’empêchant de mourir et de connaître le repos.

Cependant je sentais que mon heure était proche, ma condition avait ses limites et je n’en avais jamais été aussi proche. Il n’y avait personne pour me sauver, je vivais reclus et aucun être sur terre n’était au courant ou n’avait eu vent d’informations quant à ma localisation. C’était un des bons cotés des territoires inconnus, si peu explorés il était difficile d’établir une cartographie précise des régions et des nombreuses richesses qu’elles avaient à offrir. J’attendais patiemment dans la souffrance, je perdais peu à peu mes sens. J’étais frigorifié en plein soleil, ma peau brulée ne dégageait plus aucune odeur, tout devenait flou autour de moi, les grains de sables ne m’irritaient plus, je ne parvenais plus à bouger et finalement, la douleur commençait à s’estomper.

L’ombre de la mort se rapprochait peu à peu de moi, prête à m’envelopper et me faire traverser la voie entre le monde des vivants et celui des morts… Ca y est, j’y étais ! Je ne sentais plus qu’elle, la délivrance, la fin d’une longue et pénible existence. Le visage de ma chère et tendre Lucy m’apparut alors, je voyais à peine mais j’avais le sentiment qu’elle me caressait le visage. J’aurais tant aimé lui prendre la main une dernière fois et lui dire à quel point je l’aimais, une chose que je n’avais jamais faite malgré toutes ces années passées ensemble. Elle était mon équilibre, la paix dans ma vie de guerrier… Et qu’avais-je fait ? J’avais tout gâché.

Ma dernière heure était venue, mon salut, enfin… Une dernière pensée me vint à l’esprit, les visages des plus grands combattants avec qui j’avais eu l’honneur de croiser le fer. Alliés ou ennemis qu’importe ils faisaient tous partis de ma légende. J’avais envie de sourire, je ne sais pas vraiment si mon corps réagirait encore à ma volonté mais j’en avais envie, j’étais presque heureux, du moins je le pensais.

[...]


Kasÿan Orasar Gulr
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Il y a 9 ans | Le 20 Jun 2014 05:58:36
Tout était calme autour de moi, ma conscience était éveillée bien que mes yeux restèrent clos. Une sensation agréable me parcourut l’échine, puis une bouffée d’air, et une seconde. Je sentais peu à peu chacune des parcelles de mon corps reprendre vie. J’étais dans une position plutôt confortable et agréable, allonger sur je ne sais quelle surface, celle-ci épousait à merveilles les contrastes de mon imposante musculature dorsale. Quelques minutes passèrent, je tentais non sans difficulté de décrisper mes doigts, de plier le coude ou encore de lever la jambe mais en vain, je semblais encore trop faible pour cela.

J’étais assez étonné, dans mes souvenirs les plus enfouis mon père m’avait enseigné que l’au-delà était un lieu de paix et de repos où la contrainte n’avait aucunement lieu d’être, après tout nous étions tous destinés à connaitre le salut au paradis, ayant les pieds en enfer sur terre durant notre existence de mortels, où même d’immortels d’ailleurs pour ceux dont l’avancée dans le temps n’avait aucun effet. Bien que mes premières pensées fussent plutôt agréables, la suite me le paraissait beaucoup moins. C’est alors qu’une sombre pensée me traversa l’esprit.

La colère reprit ses droits sur toutes mes autres émotions, et dans un excès de celle-ci mes yeux s’ouvrirent sur l’horreur du monde commun. Je balayais rapidement la pièce avec dégout et distingua une silhouette. Une silhouette plutôt trapu pour le commun des mortels, mais bien moins impressionnante que la mienne cependant. Je ne pouvais distinguer son visage encapuchonné mais je devinais vite de quelle race il s’agissait. Incrédule et furieux je jetais la couverture qui me tenait au chaud et bondis du lit pour me diriger vers l’Ombrae. Mes premiers pas furent approximatifs, j’étais encore partiellement engourdi mais la férocité me permettait de tenir debout et d’avancer.


-Shiraï, calme toi c’est moi !

Je stoppais net. Je connaissais parfaitement cette voix sifflante et ce ton glacial. Aussi à cet instant mes jambes cédèrent au poids de mon corps et je me retrouvais gémissant à même le sol. L’homme au visage caché s’approcha prestement, m’aidant d'abord à me relever puis à m’asseoir. Mon rythme cardiaque s’accéléra, la douleur s’emparait à nouveau de mon corps déjà bouillant.

-Non, qu’est ce que... Aaaaaargh !

Mes os se brisèrent à nouveau et la morphologie de mon corps se mit à changer dans des douleurs atroces. Après quelques secondes d’hésitation la mémoire me revint enfin, j’étais entrain de me transformer en Lycan cependant, il semblait que mon organisme y réagissait très mal. Comme si quelque chose à l’intérieur de moi m’empêchait de retourner à mon état bestial. Je me remis à hurler de plus belle, jusqu’à ce qu’une nouvelle douleur, brève mais plus forte encore à l’arrière du crâne ne m’amène à l’inconscience, une fois de plus.

[...]


Mon crâne me faisait souffrir, mais bien moins que les fois précédente il fallait l’avouer. J’étais de nouveaux allongé, dans la même pièce que lors de mon dernier réveil. J’avais des difficultés à respirer, j’avais l’impression d’être retenu, prisonnier presque. Une fois pleinement conscient je me rendis compte qu’en effet j’étais ligoté, camisolé. Je levais les yeux et croisa le regard amusé de mon interlocuteur sous sa capuche, apparemment amusé par la situation. Je pris une nouvelle inspiration et m’adressa enfin à mon sauveur.


-Qu’est ce dont que tout çà ? Étais ce nécessaire de me saucissonner ainsi ? Vieille bourrique…

J’avais ressenti les pires difficultés à m’exprimer. Mes yeux se fermèrent mais je n’en demeurais pas moins conscient, attendant les réponses de mon plus vieil ami en terres d’Argent.

Arminas Oronar Gulr
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Il y a 9 ans | Le 01 Jul 2014 20:11:49
Dans la sombre pièce toute pavée de pierre, du sol au plafond, se répercutaient en échos des hurlements de rage, de douleur et de peine, jusque dans les couloirs avoisinants.
Un cri plus fort et plus terrifiant que les autres se fit entendre, suivit d’un bruit sourd, faisant taire les vociférations de l’homme.

Saisissant une petite cloche d’or frappée d’un aigle, Arminas fit appeler d’un léger tintement quelques homes pour l’aider à maîtriser à nouveau son patient, s’il était pris d’une nouvelle crise de bestialité.
Ils arrivèrent quelques secondes plus tard, tous encapuchonnés, sous une tunique gris sombre, un aigle rouge brodé sur le cœur, ce qui signifiait qu’ils étaient des savants, alchimistes, guérisseurs.
Donnant de rapides instructions aux nouveaux venus, Arminas observait son ami, trempé de sueur, se débattant dans son sommeil à demi conscient, pendant que les laborantins s’échinaient à ligoter solidement le Lycan pour son bien. Un autre préparait sur un petit charriot divers ustensiles qui seraient utiles pour calmer une éventuelle crise de fureur. Une fois leur tâche accomplie, ils se retirèrent discrètement dans l’ombre de la pièce, prêts à intervenir si le besoin s’en faisait sentir.

Shiraï émergea de l’inconscience quelques dizaines de minutes plus tard. Ses facultés de résistance étaient réellement étonnantes, même au bord du précipice. Arminas eut un sourire admirateur, invisible sous son capuchon. Son visage mutilé, tout aussi invisible, se fendit d’un sourire amusé, uniquement discernable par le bruit de sa respiration.


« Qu’est ce dont que tout ça ? Était-ce nécessaire de me saucissonner ainsi ? Vieille bourrique… »

Il avait dit cela après avoir légèrement entrouvert et refermé ses yeux fatigués. Il semblait très faible.
L’Ombre fit un pas en avant. Il était le seul à lui parler ainsi sans s’attirer les foudres du nouveau Censor.


« N’en doute pas. C’est pour ton bien autant que le mien. »

La mâchoire de Shiraï se crispa. Visiblement, il avait en horreur de ne pas pouvoir se contrôler, en proie à une faiblesse qu’il ne pouvait plus maîtriser : sa propre force.

« Tu me sembles en piteux état, mon vieil ami. Apparemment, l'aconit ne te réussit plus aussi bien qu'avant. Sais-tu ce qu'il t'est arrivé ? » Le son de sa voix laissait entendre son inquiétude.

Lycan hocha négativement la tête. La sueur perla sur son front.


« Et bien, durant ton exil -duquel tu ne m'a pas même tenu au courant- personne ne savait où te trouver. Pourtant, un informateur m'a appris que tu t'étais sans doute réfugié dans les territoires inconnus, probablement dans la vallée oubliée. Je m'y suis rendu, en personne, pour te retrouver. Ce que j'ai finalement réussi à faire. »

Son ami ligoté commença a trembler, les spasmes apparaissant. Il s'agita. Il fut pris d'une terrible quinte de toux. Toussa, toussa encore, avant de cracher du sang, dont un filet s'échappa de sa bouche.

« Qui ? » parvint-il à articuler difficilement avant de sombrer dans l'inconscience.

Arminas hocha la tête, désolé.

« Effectuez un prélèvement. Découvrez ce qui l'a tant affaibli. » Et les quatre encapuchonnés s'afférèrent autour de son ami, exécutant les ordres.

Plusieurs heures passèrent avant que Shiraï n'émèrge. Des heures d'inconscience n'avaient pas altéré sa mémoire.


« Qui ? Qui donc t'a informé ? » demanda-t-il tout en connaissant la réponse, au plus profond de son être.

Le Censor prit sa respiration, redoutant la réaction de son ami lorsqu'il apprendrait qui était allongé sur le lit dans la pièce voisine. Devant l'insoutenable regard d'espoir de Shiraï, l'Ombre du Destin annonça :


« Quand tu as disparu, il semblerait que ta fille se soit lancée à ta recherche. Comme je te l'ai dit, c'est moi qui t'ai retrouvé. Ta fille, tu l'as compris, a échouée. Sachant la relation d'amitié qui nous lie tous les deux, elle est venue vers moi, et m'a supplié de te retrouver.
Il marqua une pause avant de reprendre.
Shiraï. Tu dois savoir. Je crains qu'elle… Voyant la détresse dans les yeux du Lycan, il fit une nouvelle mais courte pause, bien décidé à ne rien lui cacher, hormis la larme qui coula sur sa joue, dissimulée à l’ombre de sa capuche.
Shiraï, son cœur a cessé de battre. Elle est morte. »

Les veines de Shiraï gonflaient, et à chacune de ses contractions musculaires, on les voyait bouger sous sa peau, annonçant une crise de rage des plus virulentes.

« Non... »
« Je suis désol... »
« NOOOON ! »


Les hurlements se firent plus puissants…


Kasÿan Orasar Gulr
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Il y a 9 ans | Le 04 Jul 2014 03:50:19
Le sifflement perçut par mes oreilles à cet instant me donnait l’impression que le temps c’était arrêté, mais l’ultrason pénible que cette révélation avait causé en moi n’était guère la seule gêne occasionnée par le Gulr. Mes membres ne répondaient plus, j’éprouvais les pires difficultés à respirer, et ressentais chacun de mes muscles tressaillir, chacune de mes veines trembler au passage éclair du sang, puis chacun des lents battements de mon cœur jusque dans mon crâne, comme s’il allait imploser au fil des secondes. La boule hérissée qui s’était encrée entre mes poumons me fit presque lâcher une larme, c’était comme si un millier de miroirs s’étaient brisé à l’intérieur de moi, ravageant chaque parcelles de mes organes vitaux. Puis ce fut la fin, le noir total.

[…]

En un rien de temps, la paralysie musculaire laissa place à la folie meurtrière. Dans un hurlement déchirant je brisais les sangles qui jusqu’à maintenant me tinrent efficacement prisonnier. A peine debout, gorge déployée et gueule béante, mes genoux cédèrent sous mon poids alors que les craquements osseux qui résonnèrent dans la pièce firent logiquement frémir les adeptes du Keya présents. Le souffle haletant, les muscles déchirés de partout et surtout bouillant de chaleur je souffrais le martyr comme jamais. La métamorphose opérait cependant mon corps refusait toujours de laisser totalement place à la bête. Les ombres dansaient autour de moi, paniquées, terrorisées à en croire les gestes que mon cerveau décryptait, mais il n’y avait aucun son, aucun autre que les hurlements d’horreurs s’échappant de ma bouche.

La douleur se fit plus pressante encore, sans le moindre contrôle je balayais l’aménagement de la pièce, fracassants tout sur mon féroce passage. Mes mains finirent par rejoindre mon visage, griffes déployées lacérant chaque endroit sur lesquels elles glissèrent. Mon propre sang coulait, pas la moindre trace de guérison en vue. Un spasme douloureux obligea mon corps à se relever, déchirant à nouveau la pièce d’un hurlement sauvage. Je percevais enfin les chuchotements effrayés des ombrae dans un dialecte qui n’était pas le mien, et plus mon corps changeait plus les gloussements émis par les acolytes de mon sauveurs m’agaçaient.

Je n’étais pas totalement transformé, mi-homme mi- bête je ne savais pas si la métamorphose opérerait jusqu’au bout mais la question ne resta pas longtemps encrée dans mon esprit. Je jetais un rapide coup d’œil autour de moi, abandonnant la douleur au profit de mon seul courage, et sans attendre que les derniers présents s’écartent je traversais la pièce, franchis la porte et dévala le couloir guidé par mon instinct. Son odeur était encore perceptible dans l’air, tout comme la souffrance et la tristesse qui venaient d’imprégner les lieux. Au détour d’un couloir, je m’arrêtais net un instant et huma. Mes mains se plaquèrent alors contre le mur solide qui me barrait la route, les poings serrés je m’efforçais de réunir mes dernières forces et prit quelques mètres d’élan. Sans réfléchir je fonçai droit dans le mur, m’écrasant de toutes mes forces contre celui-ci qui, dès la première charge céda sans la moindre difficulté.

La pièce était plutôt sombre et froide, à peine éclairée par quelques chandelles malades. En fait les seules parcelles de lumières luisantes sur les murs n’étaient autres que les reflets bleutés de la glace face aux fenêtres en demi-lune qu’arborait la pièce. De la fumée gelée s’échappait de la base de l’édifice de glace. Un peu étourdit certes je devais l’avouer, mon regard balaya finalement la stèle de bas en haut, l’ombre dessinant les traits familiers de ce qui, de loin et par-dessus tout faisait ma fierté, ma joie, mon bonheur et mon honneur. Les bras croisés sur la poitrine, la tête baissée, les yeux clos... Ici gisait le corps de ma fille, intacte, comme dans mes souvenirs les plus proches et lointains. Elle n’avait jamais changé avec le temps, elle devait tenir çà de sa mère, parfaitement belle et conservée malgré les âges et les batailles.

Je ployais le genou de nouveau, sentant ma bestialité abandonner mon corps qui lui abandonnait peu à peu la douleur de son coté. Une douleur qui ne tarda pas à se transférer de mon être à mon esprit. Les larmes ruisselaient sur mes joues, se frayant un chemin sinueux jusqu’à mon menton. Je fermais les yeux, peut être pour tenter de cacher ma honte ou ma souffrance, je ne savais plus vraiment, j’avais simplement le sentiment que mes fondations les plus solides s’étaient effondrées, balayées par une tempête imprévisible et meurtrière. Une main forte et chaleureuse se posa alors sur mon épaule. D’instinct j’aurais probablement tué le fou qui m’approcherait ainsi d’ordinaire, mais cette fois il n’en fut rien. Ma tête se tourna lentement vers le gulr et mes paupières se rouvrirent lentement pour croiser son regard.

Les pupilles rouges incandescentes qu’arboraient habituellement mes yeux se brisèrent. Les fin morceaux de rubis perdirent de leur éclat flamboyant et laissèrent alors place au désespoir et à la morsure glaciale du froid et de la peine. Malgré les larmes toujours présente, je discernais à travers les ténèbres les yeux écarquillés d’Arminas sous son capuchon, qui ne devait certainement pas comprendre ce changement soudain de teint. A cet instant moi seul savait, nul autre ne le pouvait. Je n’étais plus moi-même, je n’étais plus l’alpha. Je n’étais plus qu’un infirme, un bâtard, une chose brisée.

Arminas Oronar Gulr
Kraken


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Il y a 8 ans | Le 21 Jan 2016 20:23:56

Et alors qu'il voyait son ami se torturer, le Censor sentait que le poison n'était plus la cause de ses cris de douleur. La douleur laissait peu à peu place à la bête, et son corps avait doublé de volume, chaque muscle gonflé par l'afflux de sang bouillonnant.

Aaaah... Si seulement il avait pu se douter, à ce moment-là...

L'Ombre du Destin sorti de ses pensées, immobilisé par la peine qu'il ressentait à voir son ami déchiré par la perte de la prunelle de ses yeux, il n'avait pas remarqué que le lycan avait recommencé à bouger et pire encore, qu'il venait à bout de ses liens.

Tandis que la pièce s'emplissait à la fois de bruits d'os cassés, de plaintes de douleur et de murmures apeurés, Shirai tombait à genoux, avant de parvenir péniblement à se relever et de fracasser consciencieusement tout le laboratoire du Censor pour évacuer sa peine.
Quelques Ombres tressaillirent lorsque la Bête porta ses mains désormais dotées de griffes à son visage qu'il lacéra furieusement, faisant ruisseler son sang qui se mélangeait à l'étoffe noire du tapis de sol, le faisant luire à la lueur des rares chandelles épargnées par sa furie.

Soudain, Shirai se figea, se redressa, pointant la tête en l'air, humant imperceptiblement l?atmosphère. Guidé par on ne sait quelle force, la Bête se redressa, et tandis que les Ombres avançaient d'un pas peu décidé vers lui, il se précipita vers la porte, poussant au passage un des sbires vers l'âtre enflammé.

Arminas n'eut pas même un regard vers le pauvre brûlé hurlant à la mort et tandis qu'un fracas de pierre assourdissant résonnait dans tout le bâtiment, il disparut d'un revers de la main.

Shirai venait de percer le mur de la chambre de stase secrètement aménagée par Arminas, il avait découvert le corps froid et sans vie de sa fille, enfermé dans la glace.
La pièce était si froide, qu'on aurait dit que le sang bouillonnant du Lycan venait de se geler aussitôt qu'il eut aperçu le corps de sa progéniture.
Il tomba une nouvelle fois à genoux, portant sa main couverte de sang, dont les griffes se rétractaient peu à peu, sur la prison de glace de Shirahn, laissant l'Homme reprendre le dessus face à la Bête, la douleur physique l'abandonnant au profit de la douleur psychique.

Plus loin, on entendait encore les cris de souffrance de l'Ombrae en train de brûler vif, tandis que se taisaient les sanglots du Lycan.


Les pupilles rouges du Gulr apparurent dans l'ombre de la pièce comme par magie, sa jambe sortie de sa soutane noire sembla également surgir du néant, suivie par le reste de son corps.
Il tendit le bras vers son ami, hésitant une fraction de seconde, comme torturé par un doute, ou bien par la culpabilité et le remord et enfin, se ressaisit et posa une main forte sur son épaule.

Il sentit un léger tressaillement de la part de Shirai qui se retint finalement, se contentant de tourner sa tête vers la capuche d'Arminas.
Il n'aperçut qu'un instant ses pupilles rouges, comme s'il se regardait dans un miroir. Leur regard rapidement interrompu par un clignement d??il d'animal, un peu long.
Lorsqu'il les rouvrit, ses yeux avaient pris une teinte d'un bleu aussi froid que la glace qui retenait sa fille, et une larme perlait en leurs coins et tandis qu'elle glissait le long de sa joue, Arminas ne put s'empêcher d?ouvrir de grands yeux, toujours rouges chez lui.

Malgré l'ombre qui cachait son visage, on décelait clairement un regard mêlé de stupeur et d'incompréhension face à ce phénomène inexplicable.

Pour la première fois depuis le récit de ses mésaventures, le Censor ouvrit la bouche.

Ignorant d'abord le soudain changement physique de son ami, il préféra jouer la rare carte de l'humour.

-Tu sais, il y avait un bouton pour ouvrir l'accès de la pièce, tu n'étais pas obligé de forcer le passage.
Il tenta un sourire timide, qui s'effaça bien vite dans l'ombre de sa capuche, face à l'absence de réaction de Shirai.

-Je peux la sauver, mon vieil ami. Lui lança-t-il en voyant le regard bleuté de nouveau fixé sur le cercueil de glace. Elle est en état de stase, je l'ai enfermée dès que je l'ai retrouvée, gisante inconsciente dans la neige.

Il marqua une courte pause, indécis. Oserait il aller jusqu'au bout du plan qu'il avait échafaudé ?

-J'ai ce qu'... Nouvelle pause.
J'aurai bientôt tout ce qu'il faudra. Mais j'aurai également besoin de ton aide pour ceci, je ne peux me charger seul de cette tâche.

Shirai l'observait maintenant, ses deux saphirs luisant d'un nouvel espoir non dissimulé.

-L'Empire n'est plus ce qu'il était et je ne dispose plus d'une armée aussi conséquente de lors de la Conquête, pour détruire nos ennemis.
Or, l'ingrédient manquant se trouve, de source sûre, à l'intérieur des murs étrangers. Cependant, j'ignore parfaitement qui le détient.


A nouveau, le Lycan détourna le regard quelques secondes vers le fruit de ses entrailles, avant de reporter son attention sur le Censor. Il semblait pourtant avoir décelé dans le ton de sa voix le mensonge de son ami, mais n'y prêta toutefois pas garde, aveuglé par la promesse de retrouver sans descendante toujours vivante.

-Maintenant, revenons un peu sur ce qu'il vient de se produire. Par pudeur pour toi, je n'ai pas évoqué le sujet, mais il est inévitable. Le savoir des Gulr ne m'a enseigné que la façon de tuer un Lycan, mais je ne connais rien de votre mécanisme interne.

Il marqua une pause, le jaugeant d'un regard interrogatif et posa finalement la fatale question :

-Qu'est-il arrivé à la prunelle de tes yeux ?



Kasÿan Orasar Gulr
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Il y a 6 ans | Le 04 Dec 2017 07:54:09
Le choc provoqué par la découverte macabre de ma fille prisonnière des glaces me coupa du monde, je me sentais comme aspiré par un trou noir à la fois sur le plan physique et psychologique. Les tympans percés par l'ultrason pénible de la souffrance, je ne percevais plus qu'une infime partie des sons extérieurs, des fragments de phrases par ci et par là, des cris de paniques d'autres d'alertes. Les minutes s'écoulèrent et peu à peu mes sens refirent surface. La pièce prit forme, la morsure du froid fit hérisser les poils de mon avant bras et l'odeur de la peur vint titiller mes narines. Quelques instants plus tard c'est une odeur plus familière que je percevais, mais je restais là immobile face à ma fille. J'étais redevenu stoïque face à la situation, comme à mon habitude malgré la plaie béante à l'intérieur de mon être. C'est alors qu'Arminas me rejoins et brisa le silence.

[…]

Elle n'était donc pas morte, il y avait une cure miracle qui pouvait la sauver et dès cet instant tout était très clair dans mon esprit : Je retournerais ciel et terre, mettrais villages à feu et à sang et réduirait en miette et sans le moindre discernement tout obstacle sur ma route. Je donnerais ma vie pour qu'elle puisse vivre la sienne, j'en avais fait la promesse solennelle à sa mère avant que celle-ci ne s'éteigne et je tiendrais parole.

Les interrogations d'Arminas m'extirpèrent à nouveau de mes songes « Qu'est-il arrivé à la prunelle de tes yeux ? » entends-je. Je portai délicatement ma main jusqu'à mon visage et effleura un instant le coin de mon œil. Sans ajouter mot j'avançais à présent pour m'approcher de la stèle de glace, mes traits prirent alors forme dans celle-ci et je pus contempler le reflet de ce qu'il restait de moi. La teinte de mes Iris avait bel et bien viré du rouge sulfureux au bleu glacial. Un sentiment d'impuissance m'envahit alors, j'avais vécu tellement de bataille et perdu tant d'être chers déjà… Même après le trépas de ma chère et tendre Lucy je n'avais pas perdu mon pouvoir, en quelques sortes j'avais espéré être passé au-delà de cette malédiction et d'avoir brisé l'épée de Damoclès au dessus de ma tête mais il n'en était rien. Jamais de mon vivant je n'aurais pu imaginer la perte de mon enfant, le fruit de mes entrailles, la chaire de ma chaire. Je retins mes larmes pour un moment plus opportun, et détourna les talons faisant à présent face à mon vieil ami.

[…]


-Par où commencer… ?

« Par le début, peut être ? »
la voix du Gulr résonna dans ma tête, et m'arracha presque un rictus.

-Il est en la capacité de chacun sur cette terre de revêtir le masque de son choix et de jouer un rôle qui parfois, peut s'avérer bien différent de celui qui reflète réellement sa personnalité. Dans les contrées Khuladriennes, où nous vouons un culte très particulier au dieu loup, les enfants apprennent dès leur plus jeune âge qu'en ce bas monde il existe 3 choses que l'on ne puis éternellement caché. Le soleil, la lune et la vérité.

Je pris un instant pour m'agenouiller devant la tombe de glace et continua mon récit.

-Pour ceux de ma race, cette affirmation est d'autant plus claire et prend tout son sens lorsque l'on plonge dans les yeux, car il aura beau faire tout les efforts du monde, le regard d'un Lycan ne trompe pas. Qu'il soit Alpha, Béta ou Oméga il ne peut cacher sa vraie nature. Un Oméga, loup solitaire sans aucune appartenance, la pupille est jaune. Plus le teint est sombre, plus la créature est âgée et puissance. Il en va de même pour un Béta, la différence étant que celui-ci appartient à un groupe ou une meute et sa pupille à lui s'approche d'une couleur noisette orangée. Un Alpha comme tu le sais déjà est un dominant, tout comme moi, enfin tout comme je l'étais jusqu'à il y a encore quelques minutes…

L'ombrae glissa sur le sol et me tendis un godet de thé que j'acceptais volontiers. J'en sirotais quelques gorgées fortes apaisantes et repris enfin mon explication, Arminas tendit alors l'oreille avec plus d'attention.

-Il arrive parfois, en des circonstances exceptionnelles qu'un Lycan déroge à la règle énoncé un peu plus tôt. Pour beaucoup d'entre nous et notamment pour moi, repousser les limites de la douleur à l'extrême relève d'avantage de l'art et du sport que de la nécessité. Cependant, même pour nous il existe des souffrances qui ne connaissent ni cure ni remède, aussi rarissimes qu'elles soient, et dans la plupart des cas ces traumatismes sont insurmontables.

[…]

-Lorsqu'un Lycan est sujet à tel phénomène, son âme est brisée en milliers d'éclats, il n'est alors plus qu'une pale copie de ce qu'il était. Même pour un Alpha, aussi puissant soit-il, la perte est significative et… possiblement définitive.

Je serrais les poings si fort que la plupart de mes articulations se mirent à craquer. Ma respiration se fit plus bruyante et la colère s'empara progressivement de mon être tout entier. Je fermais les yeux un instant afin de garder le contrôle.

-Tu sais cependant et tout comme moi, qu'un animal blessé et acculé peut s'avérer bien plus dangereux que dans son état normal.

Je me levais brusquement et fixais désormais le Gulr avec intensité et détermination, de quoi lui glacer le sang limite.

-Nul ne pourra se dresser sur mon chemin, je ferais ce qui est nécessaire et t'obéirais aveuglément jusqu'à ce que tu sois en mesure de guérir ma fille.

Je dégainais ma lame de son fourreau et la fit gracieusement mouliner avant de taillader la chaire de mon autre paume d'un geste net et précis.

-De par mon sang, j'en fais le serment.