L'égarement.


La pluie martèle depuis de longues heures les pavés du port de Baduk, les cieux s'enflamment et flambent tandis que le tonnerre ébranle les demeures fatiguées de la ville. Les vagues déchaînées se fracassent sur l'embarcadère et les pontons ploient sous le poids de la colère des océans. Quelques rares lanternes parsèment la cité portuaire, elles éclairent péniblement les ruelles désertes que les gens ont fui, chassés par un vent fort et rigoureux.

Au coin d'une de ces allées abandonnées, une auberge, miteuse à en juger son aspect extérieur, a recueilli les égarés de la vie, les alcooliques notoires et les simples fous qui se sont risqués aujourd'hui à affronter la tempête destructrice. Une poignée de tables bancales et de chaises branlantes meublent cette dernière et les flammes mourantes d'un âtre pas assez nourri réchauffent et illuminent difficilement la grande salle dépourvue d'ornements, mais qui ne manque pas pour autant de vie.

Ici, le tenancier peste contre deux ivrognes qui se chicanent pour un verre renversé. Là-bas, quatre voyageurs exténués luttent pour manger leur pitance infâme servie plus tôt... Ailleurs, attablé près du foyer, un homme semble errer dans ses pensées. Le regard absent, une cervoise tiède aux creux de ses mains, il chuchote, murmure des brides de phrases et se perd dans les fragments d'un lointain passé...


[…]

...
Je m'égare depuis si longtemps, je traîne cette solitude depuis tant d'années.
...
Pourquoi? Comment? Je ne sais plus. Le temps me ronge, les souvenirs s'émiettent.
...
J'ai connu des familles, des batailles et des guerres... mais tout ça me semble si loin.


[…]

...
Je n'ai plus de but, d'objectif, de sens dans ma vie.
Cela me manque...
Terriblement.
Je me pensais heureux seul mais il en est rien. Je me souviens encore, j'avais foi en moi, en mes capacités mais il était stupide de penser ainsi, cela me semble évident maintenant...
Je crois qu'il n'est pas trop tard malgré tout...
Enfin je l'espère...
...

[…]

L'homme défait son emprise sur la cervoise et plonge une main dans la besace de cuir posée au sol, près de lui. Tâtonnant le fond du sac, il ressort après quelques secondes de recherche un petit objet poussiéreux mais tout de même assez lourd pour sa taille. Il souffle dessus et chasse la poussière qui s'y était déposée avant de l'observer à la lueur des flammes. L'objet est éclatant et il s'agit en fait d'un sublime aigle d'or aux ailes déployées. A sa vue, le guerrier esquisse un fin sourire...

A suivre.