Que la lumière soit.

Erzsebet
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Il y a 10 ans | Le 19 May 2013 19:17:48

Crac.
Ses sourcils se froncèrent au simple bruit de la branche qui venait de céder sous la patte du fauve. Il ne fallait, en aucun cas, qu’elles se fassent repérer. D’un simple geste, elle fit comprendre à la fautive qu’il fallait désormais faire davantage attention, et être sur ses gardes.

Erzsebet et Opale marchaient déjà depuis de longues heures au milieu de la forêt bordant la frontière de ce qui avaient été leur territoire jusqu’à ces dernières heures. Ils étaient venus en très grand nombre, massacrant tout sur leur passage comme des chiens enragés. La jeune femme ne leur avait échappés que de justesse, s’enfonçant là où elle pensait avoir le plus de chance de s’en sortir. Les bois bordant le flanc Est d’Astraloth avaient en effet pour réputation de repousser les êtres maléfiques, mais Erzsebet préférait toutefois rester discrète.

Elle les avait entendus derrière les fourrés délimitant la forêt, saccageant les petits villages indépendants, des tintements d’épées qui s’entrechoquaient aux hurlements des femmes qu’ils abusaient. Ils prenaient un malin plaisir à prendre leur temps pour chaque acte barbare qu’ils pratiquaient, riant aux éclats à chaque dernier souffle de leur adversaire. Et, au milieu de tout ce vacarme incessant, Erzsebet pressentait la présence de quelques aventuriers non loin d’elle. Ils venaient la chercher, elle, la plus jeune de sa famille, gardienne de la lumière d’Astraloth.

« Viens. Prenons ce sentier. » murmura-t-elle à sa belle panthère noire.

La seule chance qui s’offrait à la jeune gardienne pour garder la vie sauve était de trouver la frontière, située à l’autre extrémité de la forêt. Alors les remparts séparant la terre d’Astraloth de celle du Monde d’Argent la séparerait à jamais de ce territoire qu’elle avait tant aimé. Néanmoins, le chagrin n’effleura à aucun moment Erzsebet qui s’était préparée depuis son plus jeune âge à une telle éventualité. De plus, la tristesse n’avait pas sa place lors d’un tel évènement. Sauver sa peau était l’unique mot d’ordre, et cela excluait totalement une quelconque nostalgie.

Le sentier que la jeune gardienne emprunta était d’autant plus étroit que le précédent, laissant de moins en moins de place aux déplacements de la panthère qui l’accompagnait. Néanmoins Opale faisait de son mieux pour ne pas mettre en danger sa protégée pour qui elle était totalement dévouée. Ainsi les deux fugueuses continuaient à progresser dans les bois à une allure modérée jusqu’à ce qu’un léger craquement leur intima l’ordre d’accélérer. Peut-être n’était-ce rien, mais Erzsebet n’en avait que faire. Il ne fallait pas qu’elle déroge à la règle : trouver la frontière et passer au travers. Sauver sa peau, et ainsi préserver la lumière sur les terres d’Astraloth.

Car Erzsebet n’était pas vraiment de celles qui s’enfuient à la vue du danger. Cependant, la mission à laquelle on l’avait affectée depuis sa naissance entraînait cette fuite inévitable. Serrant au creux de sa main la petite fiole lumineuse qui pendait à son cou, la jeune femme ne cessait de courir, plaçant une jambe après l’autre avec une vivacité impressionnante. Ici également, tout avait été minutieusement préparé afin qu’elle soit en mesure de trouver la frontière avant que l’un d’eux ne la rattrape et ne la tue sans aucune mesure.

« Te voilà enfin ! »

Il avait surgi de nulle part, comme s’il attendait là depuis des nuits. De taille plutôt grande, aux alentours du mètre quatre-vingt-dix, il était en outre pourvu de muscles considérables, ce que n’avait pas Erzsebet qui se vit étalée de tout son long sur le sol terreux de la forêt. Le guerrier à l’haleine d’alcool avait les cheveux gras, et une barbe de plusieurs semaines continuait de pousser sur son visage reluisant de sueur à la lueur de la petite fiole de lumière accrochée au cou de la jeune gardienne. Celle-ci fermait les yeux, psalmodiant de brèves paroles dans l’espoir qu’un miracle se produise, sans quoi tout ce pourquoi elle avait été élevée tombait littéralement en fumée.

Par la suite, elle entendit un rugissement et sentit son corps soudainement vidé d’un poids de taille. Ouvrant les yeux, elle tourna la tête vers sa belle panthère qui n’avait visiblement pas hésité à terrasser le brigand. A vrai dire, il ne restait plus grand-chose de lui tant il avait été dépecé. Refermant aussitôt les yeux, Erzsebet se releva tant bien que mal et ordonna à sa libératrice de cesser. Il était plus que temps de trouver la frontière, désormais qu’il semblait de plus en plus probable que la forêt ne les protégerait pas plus longtemps.

« Si j’en crois ce que l’on m’a dit, nous ne devrions pas tarder à arriver. Espérons qu’aucune autre aventure de ce genre ne se répète d’ici la frontière. » adressa-t-elle à son amie dévouée.

Invitant Opale à la suivre, Erzsebet se remit en marche en quête de cet arbre à l’allure singulière dont on lui avait parlé. D’une taille vertigineuse, on avait jadis gravé un petit symbole sur son écorce pour orienter ceux qui chercheraient la frontière. Il ne fallut que quelques mètres de course pour que les deux amies parviennent au pied de l’illustre végétal. Son tronc était d’un marron si sombre que le symbole blanc était immanquable. Il s’agissait de la croix Astralothienne, autrefois imaginée par les gardiens du royaume.

Laissant échapper un soupir de soulagement, Erzsebet poursuivit sa route sur un sentier dissimulé derrière des fourrés. Il ne restait désormais plus que quelques minutes de marche, peut-être plus. La fin était proche, la jeune gardienne le savait et le bourdonnement de sa petite fiole lumineuse ne faisait que le confirmer davantage.

Elle était là, majestueuse. Erzsebet sourit pour la première fois depuis que tout avait commencé la veille, lorsqu’ils étaient venus massacrer tous les membres de sa famille. Comme convenu depuis la naissance de la jeune gardienne, celle-ci avait déserté le château par une trappe dissimulée, sans un mot. Jusqu’ici, Erzsebet s’était demandée si tout ceci avait un sens, redoutant l’instant où elle serait, elle aussi, tuée par ces vandales. Et puis elle avait finalement atteint son but sans trop de difficultés, à sa grande surprise.

S’avançant d’un pas assuré, Erzsebet se retourna une dernière fois vers ce qui avait été son territoire avant de franchir la barrière d’énergie accompagnée d’Opale, sans aucun regret. Tant qu’ils ne savaient pas où elle se trouvait, la jeune gardienne pouvait vivre sereinement. Astraloth garderait sa lumière, malgré la montée au pouvoir des Ténèbres. Lorsqu’Erzsebet ressurgit de l’autre extrémité de la muraille, le décor avait littéralement changé. Se dressait désormais devant elle une plaine verdoyante qui se faisait appeler, lui avait on dit, Baduk. Elle adressa un sourire malicieux à Opale qui la regardait d’un air apaisé.

« Et lux in tenebris lucet, Opale. » conclut Erzsebet, soulagée.


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Il y a 10 ans | Le 24 May 2013 23:08:32

Vingt-quatre ans plus tôt …


Le vent soufflait fortement sur Astraloth, arrachant ça et là quelques branches aux grands arbres qui bordaient la grande route. Le ciel, quant à lui, offrait aux curieux un spectacle des plus admirables en la succession accélérée des nuages qui le peuplait. Ces nuées, légèrement teintées, annonçaient la venue imminente d’une pluie longtemps attendue. Les Terres Astralothiennes connaissaient, en effet, la sècheresse depuis déjà deux cycles lunaires et commençaient à manquer cruellement de ressources. A la naissance de la jeune gardienne, deux nouvelles lunes suivront avant que la pluie ne tombe à nouveau. Plus de deux mois s’étaient écoulés depuis la naissance d’Erzsebet, et le temps pressait désormais qu’il ne restait quasiment plus rien.

Une centaine de villageois s’étaient en effet déjà rebellés contre la Haute Autorité, criant à l’égoïsme pur et simple. Certains étaient même parvenus à pénétrer dans l’enceinte du palais, et s’étaient finalement fais intercepter dans le couloir menant à la chambre d’Erzsebet. L’enfant était, en à peine quelques jours, devenue la risée d’Astraloth : le fléau, dénonçaient même les plus radicaux. Elle était l’ennemi à abattre pour de nombreuses personnes, malgré tout le bien que les prêtres avaient dit d’elle.

« Très chers fidèles, cette souffrance ne sera que de courte durée. Pensez aux douloureuses conséquences qu’auront vos actes irréfléchis. Si Erzsebet venait à perdre la vie, nous pourrions d’ores et déjà nous en aller avec elle tant la survie d’Astraloth serait en péril. » avaient-ils tous claironné, espérant l’apaisement de tous.

Rien n’y fit. L’un des prêtres en vint même à y laisser sa vie, sur le socle marbré de l’autel. Un groupuscule de quatre personnes s’étaient ainsi levés en pleine audience et avaient prouvé leur insoumission envers la Haute Autorité en décochant les uns après les autres une flèche en direction du prêtre. L’une transperça directement le cœur tandis que les trois autres préférèrent aller se loger en des lieux plus singuliers. La panique gagna chaque individu encore assis dans l’église, invitant chacun à tenter de fuir par n’importe quelle issue tandis que les quatre semeurs de trouble dressaient leur poing vers le haut tout en revendiquant la mort du fléau.

Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis cet incident qui fit trembler les murs du palais tant l’acte barbare était inimaginable. Aria, dressée face à la fenêtre du salon, regardait la valse des nuages dans le ciel avec un certain intérêt. Elle dépassait facilement le mètre quatre vingt à l’instar de chaque femme de sa famille et arborait également une longue chevelure argentée qu’elle retenait à l’aide d’une pince dorée. Particulièrement affectée par l’engouement des villageois pour la mort de sa fille, la jeune femme avait les traits de son visage tirés et attendait la venue de la pluie avec impatience. Cela faisait plus de deux mois qu’elle n’avait vu de nuages dans le ciel, et le fait qu’ils se montrent enfin la rassurait même si le temps se faisait de plus en plus long.

« Ma chérie, cesse donc d’observer l’horizon. Le jour tant attendu viendra. Soyons patients. »

Lùcian venait d’entrer dans le salon, visiblement préoccupé par sa femme qui ne lui avait pas adressé la parole depuis près d’une semaine. D’une taille similaire à celle d’Aria, il avait de somptueux yeux bleus qui accompagnaient une chevelure blonde qui descendait jusqu’au niveau des omoplates. Arrivé à la hauteur de la jeune femme, Lùcian posa délicatement sa main sur l’épaule de cette dernière qui ne réagit pas immédiatement. Sans se retourner, elle se contenta d’adresser d’une voix terne trois mots porteurs d’espoir à son mari.

« Il va pleuvoir.
- On dirait bien, en effet. Peut-être cela tendra à calmer les esprits échauffés ces deux derniers mois. Je l’espère sincèrement.
lui répondit Lùcian, tout en glissant un doigt le long du dos d’Aria.
- Je n’y crois pas, hélas. Ils ont tellement soufferts de cette épreuve qu’il serait très étonnant qu’ils changent subitement d’avis concernant Erzsebet.
- Laissons-leur le temps, Aria. Peut-être nous surprendront-ils, qui sait ? »


La jeune femme pivota subitement, son regard apeuré se posant avec insistance sur celui de Lùcian qui ne cessait de l’observer, inquiet.

« Et si rien de tout cela ne se passe, que ferons-nous ? largua-t-elle, telle une bombe en pleine mer.
- Nous ferons ce qu’il y a de mieux à faire pour Erzsebet, sois-en sûre. » la rassura-t-il, ses mains enserrant les bras d’Aria.

La pluie finit par faire son entrée quelques heures plus tard. Postée derrière la vitre comme à son habitude, Aria regardait les villageois danser sous les trombes d’eaux tout en priant pour que les esprits s’apaisent au plus vite. Les bras levés vers le ciel, certains villageois adressaient un sourire au firmament tandis que la pluie ruisselait sur leur visage. D’autres riaient aux éclats, ce qu’ils n’avaient pas fait depuis la naissance d’Erzsebet. Enfin, quatre hommes semblaient rester en retrait, immobiles, leur visage dissimulé sous un large capuchon. Si tous paraissaient avoir oublié la sécheresse des derniers jours, ce n’était visiblement pas le cas de ce quatuor qui s’empressa de disparaître dans la pénombre d’une maison. Aria n’avait rien perdu de la scène mais préférait toutefois regarder les enfants danser la carole au milieu de la place, laissant le temps aux quatre hommes d’apprendre à pardonner.

Trois mois s’étaient écoulés lorsque survint un nouvel esclandre. Il se disait alors qu’un groupe constitué de quatre hommes était à l’origine du massacre d’un prêtre et des paroissiens alors présents sur le lieu du drame. En outre, on avait retrouvé sur les murs intérieurs de l’église, tracés à l’aide du sang des victimes, ces mots : Le pardon n’aura pas lieu. Lorsqu’Aria fut mise au courant de la situation dans laquelle se trouvait Astraloth, ses jambes cédèrent sous le poids des informations. Assise sur le sol dallé de la salle du conseil, ses paupières se fermèrent tandis qu’une larme de désespoir filait rejoindre la commissure droite de ses lèvres. Lùcian, qui avait tout vu, s’adressa alors à ses conseillers d’une voix sombre et ferme :

« Que l’on retrouve ces hommes, et qu’on les chasse de ce royaume où ils ne semblent guère se complaire à vivre. »

Des soldats furent envoyés dans chaque village à la recherche du quatuor infernal qui ne tenta aucunement de se cacher. A contrario, les quatre hommes préférèrent faire face à l’armée Astralothienne, équipés de leur arc et de leur épée. Le combat dura plusieurs longues minutes durant lesquelles les ruelles avaient été désertées par les villageois, laissant l’armée se débrouiller seule avec ceux qui, vraisemblablement, avaient envie de faire parler d’eux. L’un avait finalement retiré son capuchon, laissant apparaître un visage marqué par les années. On pouvait, par ailleurs, apercevoir une cicatrice très nette sur sa pommette gauche au beau milieu de nombreuses rides qui peuplaient l’ensemble de son faciès. L’issue de cette bataille, inévitable, fut la capture des quatre scélérats et leur éviction immédiate d’Astraloth.

Lorsque le soleil passa derrière les montagnes, Lùcian retrouva Aria sur le balcon de sa chambre en compagnie d’Erzsebet. La petite fille, de cinq mois déjà, avait bien grandi, rendant on ne peut plus fier son père. Néanmoins, la tristesse permanente qu’émanait Aria inquiétait Lùcian. Il s’avança et, une fois derrière elle, posa ses mains sur ses épaules.

« Ces pourritures ne sont plus sur Astraloth, ma chérie. Nous allons enfin pouvoir passer à autre chose. lui annonça-t-il d’une voix parfaitement calme.
- Et si … Et s’ils revenaient, plus nombreux encore ?
- Cela n’arrivera pas. Cela n’arrivera jamais, est-ce que tu m’entends ? Je ne laisserai pas une telle chose se produire. »


Cela se produisit malgré tout vingt-quatre ans plus tard et même Lùcian ne put rien y faire.



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Il y a 10 ans | Le 28 May 2013 23:44:19

Kalim ne cessait de passer son index sur la cicatrice gravée sur sa pommette gauche. Evincé quelques jours plus tôt avec ses trois plus jeunes frères, le scélérat n’avait nullement l’intention d’en rester là. Habitué des punitions de Lùcian envers quiconque ne suivant pas ses directives, Kalim en était arrivé à rêver d’une vengeance irrévocable. Toutefois, aucune ne lui semblait réalisable étant donné la situation dans laquelle il se trouvait. Il avait beau chercher, tout paraissait voué à l’échec. Cependant, cela n’empêchait pas Kalim d’imaginer les pires souffrances qu’il pouvait infliger au Roi d’Astraloth à commencer par le meurtre d’Erzsebet, le fléau. Le profond fantasme de Kalim prit pourtant fin lorsqu’un verre vint se briser contre le mur de pierre situé non loin de son visage.

« Pourriture ! »

Kalim observait attentivement son plus jeune frère, le plus révolté de surcroît, qui ne cessait de proférer des insultes de toutes sortes à l’adresse de Lùcian. Au début, le vieux brigand trouvait cela assez drôle, mais très rapidement lassant. Se redressant dans son fauteuil, Kalim préféra verser dans le sarcasme, espérant ne pas avoir à s’énerver sur son frère :

« Kylan, ressaisis-toi avant d’avoir à rembourser toute la vaisselle des hôtes.
- Comment a-t-il pu … Ça me dépasse ! Enfoiré ! »


Particulièrement agacé par l’ignorance totale de son frère cadet, Kalim finit par se lever et agrippa brusquement le col de sa chemise en lin. Kylan s’interrompit immédiatement tandis que son grand frère lui lançait un regard assassin.

« Dis, tu vas la fermer un peu au lieu de nous réciter tous les synonymes possibles et inimaginables d’une ordure ?
- Oui, Kal’. Je … Excuse-moi.
lui répondit Kylan, tétanisé par l’attitude brutale de son grand frère.
- Bien. Peut-être vais-je enfin pouvoir réfléchir tranquillement à comment nous sortir de là. »

Kalim avait relâché le col de son frère cadet et était retourné s’asseoir, retrouvant alors sa position initiale. Son coude était appuyé contre l’accoudoir du fauteuil tandis que son index ne cessait de repasser sur sa cicatrice. L’origine de celle-ci remontait à plusieurs années, lorsque Kalim avait intégré une milice aux idées bien arrêtées. Sa première mission consistait alors à s’emparer d’une pierre à laquelle on accordait un pouvoir incommensurable, et particulièrement tentant. Ce dernier point avait convaincu les Hauts gradés de n’informer les nouveaux que du strict nécessaire. Ainsi, Kalim ignorait tout de cette babiole sauf son importance. C’était déjà trop.

La mission se déroulait à merveille, jusqu’à ce que trois mâles ne s’écartent de l’objectif pour aller pondre dans le village voisin. Kalim faisait parti de ce trio en rut, et fut congédié au même titre que les autres pour imprudence et désobéissance. Harël, alors chef de la milice, avait fendu de son épée la pommette gauche de Kalim comme il avait l’habitude de le faire à chaque personne indigne de sa confiance, en rajoutant à cela une petite touche personnelle à chaque visage. Le scélérat s’était vengé comme il put, soutirant discrètement la pierre qui, d’apparence, lui semblait tout à fait banale mais qui, il le savait, était tout pour Harël.

Le regard de Kalim s’éclaira. L’homme se redressa dans son fauteuil, tandis qu’il fouillait une de ses poches pour en sortir la pierre en question. Celle-ci était bleue tel le lapis-lazuli et arborait un pentagramme en son centre. Kalim l’observait attentivement durant de longues secondes avant qu’une main ne tente de la lui prendre. Il serra d’autant plus la pierre.

« Essaie, et je te coupe la main. assura-t-il de sa voix graveleuse, sans même quitter des yeux la pierre.
- Oh, ça va ! Je voulais juste la voir d’un peu plus près moi aussi. lui lança Kylan en guise de réponse.
- Ouais. Bah évite. objecta Kalim tout en plantant son regard dans les yeux de Kylan.
- Qu’est-ce qu’elle a de si spéciale cette pierre, d’abord ? demanda le plus jeune à son frère aîné.
- J’en sais rien. Faut voir avec Hörim, c’est lui l’expert !
- Parce que lui a droit de la toucher ?
s’indigna Kylan.
- Ouais. Faudra t’y faire. Maintenant, vas le chercher. »

Hörim ressemblait en tout point à Kalim, excepté la cicatrice de ce dernier et ses années en plus. La chevelure noire corbeau de Hörim accompagnait de sublimes yeux verts émeraude, sur une grande silhouette proche du mètre quatre-vingt-dix. Lorsqu’il franchit le seuil de la salle commune son regard dériva aussitôt sur la pierre bleue contenue dans la main de Kalim. Sans qu’il ne parvienne à le contrôler, le nouvel arrivant esquissa un large sourire satisfait.

« Où Diable as-tu trouvé cette merveille ? s’exclama-t-il en un premier temps. Tu sais de quoi il s’agit ?
- Et si tu en venais tout de suite au moment où tu me dis ce qu’est cette babiole ? »
lui demanda son aîné, lui tendant la pierre d’un geste las.

Hörim s’avança vers Kalim et récupéra avec soin le minéral.

« Ce n’est pas une babiole, Kal’. D’après certains, cette pierre permettrait d’ouvrir une brèche entre ce monde et celui du Dessous. expliqua Hörim, totalement surexcité. Cette pierre, c’est notre retour gagné d’avance les gars !
- Je vois. Quand tu sauras t’en servir, tu viendras me chercher. J’entends les hôtes qui se réveillent. »


Kalim sortit de sa poche un couteau sur lequel on pouvait voir du sang séché de la pointe jusqu’au manche, et se dirigea vers la pièce adjacente à celle où les trois frères étaient postés. Il semblait de suite plus motivé que par l’annonce de Hörim.

« Bon, qui est volontaire pour passer sous le bistouri ce matin ? » finit-t-il par demander auxdits hôtes avec une pointe de sarcasme.



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Il y a 10 ans | Le 18 Jun 2013 13:38:13
« Mai ! Mai !¹ »

Le soleil était au zénith, éclatant, surplombant les terres d’Astraloth. A quelques mètres du palais, on pouvait entendre une jeune fille s’époumoner. Sous une chevelure argentée singulière, son visage paraissait marqué par la peur. Ses traits étaient tirés, son regard craintif.

Six années s’étaient pourtant écoulées depuis que quatre hommes avaient été évincés du royaume et le calme semblait avoir repris ses droits. Assise sur un drap de coton aux motifs dorés, Aria tourna brusquement la tête vers ce qui lui paraissait être le lieu d’où provenaient ces cris désespérés. Ses angoisses les plus profondes s’étaient légèrement estompées avec le temps. Cependant, il lui arrivait encore de subir quelques frayeurs qu’elle préférait toutefois garder pour elle. En effet, Lùcian avait beau être un mari extraordinaire, Aria savait pertinemment qu’il avait d’autres préoccupations bien plus importantes. Ainsi, la jeune reine gardait pour elle ses nombreux ressentis, préparant Erzsebet à affronter ce qui l’attendait dans le plus grand secret.

Alors que la jeune gardienne entamait sa cinquième année, sa mère avait donné naissance à une petite fille à qui on donna le nom d’Aryë. Cet évènement avait balayé à jamais la révolte des esprits. Aryë semblait apporter un nouveau souffle à Astraloth qui commençait enfin à revivre comme si rien ne s’était passé cinq ans auparavant. Cependant, il n’en était rien pour la jeune reine qui restait persuadée que son instinct ne lui mentait pas. La révolte était loin d’être finie.

« Erzsebet ?! Que se passe-t-il ? Où est Aryë ? demanda Aria, tout en se relevant pour faire face à la jeune fille qui arrivait en trombe.
- Je … Je … »

La jeune gardienne s’arrêta brusquement, se pliant en deux, la main droite appuyant sous ses côtes. Elle semblait avoir couru un long moment, hurlant à en perdre sa voix, ce qui avait provoqué cet essoufflement inévitable. De son côté, la mâchoire crispée, Aria était suspendue aux lèvres de sa fille, attendant les explications de cette dernière.

« On jouait plus bas, près du cours d’eau … balbutia Erzsebet, quelques perles de sueurs roulant sur ses tempes. Et ils sont … Ils sont arrivés. Ils … »

Les yeux d’Aria s’écarquillèrent, comprenant où sa fille voulait en venir. Sa peau, pourtant blanche d’ordinaire, pâlit davantage tandis qu’une larme jaillit du creux de son œil droit pour rejoindre son châle doré qui recouvrait ses épaules.

« Ils l’ont tuée … émit-elle, le regard perdu.
- Non, Mai¹. Aryë a été volée. » assura Erzsebet.

Quelque part, Aria se sentit soulagée. Néanmoins qu’adviendrait sa fille, âgée d’à peine un an, sans elle ? Son sort semblait déjà jeté. Alea jacta est , auraient sans doute dit les prêtres s’ils avaient été présents. La reine, quant à elle, en avait perdu son latin. Tout se mélangeait dans sa tête, laissant place à un grand capharnaüm. Elle parvint finalement à ramasser ses affaires avec la plus grande hâte, invitant sa fille à la rejoindre.

« Allez, viens ma puce. Rien ne sert de s’attarder ici. Dans l’immédiat, il n’y a rien que nous puissions faire. dit Aria, la voix légèrement tremblante.
- Mai¹, insista la jeune gardienne, Aryë va nous être rendue ?
- Peut-être bien. Mais pour le moment, promets-moi une chose ma chérie. lui répondit Aria, s’abaissant jusqu’à ce que ses yeux soient à la hauteur de ceux de sa fille. Il ne faut rien dire à Ave², d’accord ? »

La jeune fille acquiesça d’un simple, mais sincère, hochement de tête. Elle renonça ainsi à dire la vérité à son père qui resta persuadé de la mort de sa plus jeune fille jusqu’à son dernier souffle. Pourtant, Aryë respirait encore et était loin de perdre la vie.

**

Au début, il n’avait pas été question de voler la progéniture de la reine d’Astraloth. Au maximum, ils pensaient faire une grande frayeur à Erzsebet. Et puis, finalement, tout s’était passé si vite que leur plan avait changé.

Deux jours plus tôt Kalim, Kylan et Hörim avaient finalement résolu l’énigme de la pierre bleue. Il s’en était fallu de peu. Particulièrement irritable depuis la mort de l’ensemble de leurs hôtes et de n’importe quelle victime présente dans un rayon de cinq kilomètres, Kalim s’était acharné sur le plus petit de ses frères. Pendant plusieurs jours il n’avait fait que lui lacérer la peau à l’aide de sa dague avant de le vider partiellement de quelques organes, les lui exposant sous le nez jusqu’à ce qu’il meurt. Redoutant que Kalim ne s’en prenne à eux, Kylan et Hörim s’étaient empressés de comprendre le fonctionnement de la pierre. Ainsi avaient-ils fini par rencontrer le peuple du Dessous, et lui avaient fait part de leur projet. En échange de la réussite de leur vengeance, les Ténèbres s’étendraient sur les terres d’Astraloth. Tel était leur accord. Toutefois, il leur fallait plusieurs jours pour être fin prêts. Ainsi, les trois frères avaient décidé d’un commun accord de faire une brève apparition sur les Terres de Lùcian pendant que l’armée se préparait.

Lorsqu’il arriva en Astraloth, Kalim reconnut immédiatement le Fléau malgré les six années qui séparaient l’enfant qu’il avait sous les yeux du bébé qu’il avait connu jadis. Et pour cause, les cheveux argentés de la jeune fille étaient uniques de ce côté-ci du royaume. D’un simple coup de coude dans les côtes de ses deux frères, suivi d’un hochement de tête en direction de la jeune fille, le scélérat les invita à le suivre. Erzsebet était paisiblement assise dans l’herbe, près d’une silhouette emmitouflée dans l’herbe que les trois frères prirent pour une simple poupée comme tant de filles aiment emmener en promenade.

Les sentant approcher, Erzsebet leva les yeux vers eux. Ils étaient à presque vingt mètres, peut-être moins. Elle prit le temps de les dévisager, avant d’estimer qu’il était temps de retrouver sa mère. Si ton instinct te dit de fuir, fuis. Se relevant le plus calmement possible, elle récupéra Aryë au passage sans adresser un regard de plus aux trois frères qui accélérèrent le pas.

« Hé ! Petite ! héla Kalim, avec sa délicatesse habituelle. Je peux jouer à la poupée avec toi ? »

Erzsebet augmenta la cadence de ses pas, ignorant l’inconnu qui semblait tout de même la suivre. De fait, Kalim avait conseillé à ses deux frères de contourner la jeune gardienne tandis qu’il continuait de la suivre. Ainsi Erzsebet ne vit pas Hörim s’approcher d’elle par son côté gauche, attrapant son bras avec force. Elle sursauta.

« C’est un bel enfant que tu tiens là, dis-moi. déclara Hörim, désignant Aryë. Je peux toucher ?
- Lâchez-moi !
ordonna la jeune fille, les larmes lui montant aux yeux.
- C’est que cette petite est caractérielle en plus ! ironisa Kalim, en passant une main dans les cheveux du Fléau. Allez, donnes-moi ça ! »

La voix de Kalim venait de retrouver son ton rocailleux ce qui déstabilisa Erzsebet, lâchant son emprise sur Aryë. Elle se souvenait de ces heures passées à s’entraîner avec sa mère et le jeune garçon d’écurie. Suis toujours ton instinct, ma fille. Fuis. Profitant du fait que les trois brigands étaient vraisemblablement plus intéressés par le bébé qu’elle leur avait légué, Erzsebet s’enfuit à vive allure.

« Kylan rattrape-là, merde ! » hurla Kalim lorsqu’il s’aperçut de la fuite du Fléau. Ce dernier avait déjà une bonne cinquantaine de mètres d’avance.

Obéissant aux ordres de son frère aîné, Kylan s’élança à la poursuite Erzsebet. Quelques secondes plus tard, il l’avait rattrapée. Agrippant férocement ses longs cheveux argentés, Kylan arrêta aussitôt la course de la jeune fille.

« Terminus, ma petite ! » railla-t-il avant d’être surpris par une grande masse noire bondissant sur lui.

Kylan fut plaqué contre le sol, laissant Erzsebet quelque peu sonnée par ce qui venait de se passer. Devant ses yeux s’élevait une bête immense, particulièrement effrayante. Tenant sur ses quatre pattes, la panthère se distinguait avec ses yeux jaunes presque hypnotisant. Sa tête, approximativement aussi grande qu’Erzsebet toute entière, dévoilait une mâchoire d’acier que la jeune gardienne n’avait nullement envie de voir de plus près. Kylan, lui, n’eut guère le choix. A peine son festin terminé, la panthère laissa son regard s’attarder quelques instants sur Erzsebet avant de disparaître aussi rapidement qu’elle était apparue.

Au début, il n’avait pas été question de voler la progéniture de la reine d’Astraloth. Au maximum, ils pensaient faire une grande frayeur à Erzsebet. Et puis, finalement, tout s’était passé si vite que leur plan avait changé. Ils avaient perdu Kylan au cours de cette mission, mais avaient finalement récupéré bien plus. Une nouvelle alliée, et pas n’importe laquelle. Aryë.

¹ : Mère
² : Père