Verset Premier : la Terre
Continent Nébullien, an 70
Tantôt nommé l’Alchimiste, Maître des Templiers, Nuseh de Guspay ou encore Punus de Yegash, bien des versions circulent au sujet de l’histoire de ce sombre personnage qui a toujours entouré les Gulr de sa présence. Sa condition même, ainsi que sa naissance, sont depuis longtemps entrés au rang de légendes, tant la vérité demeure insaisissable. Les plus superstitieux n’ont jamais hésité à inventer son histoire, parlant du mentor des Gulr comme d’une malédiction. La réalité est tout autre. L’alchimiste donc, se trouve être l’un des Premiers Nébulliens, ceux qui furent créés par l’influence magique du Keya lors de la Manifestation des Trois Formes, ceux qui naquirent à l’âge adulte, et dotés d’une intelligence infiniment supérieure à ceux qu’ils allaient enfanter. Les Premiers Nébulliens, après avoir réussi à sauvegarder leur race même s’ils en avaient altéré les conditions, se préparaient paisiblement au trépas, leur tâche en ce monde étant révolue, et le premier berceau des nébulliens fondé : la modeste ville de Lebab.
Celui qu’on allait nommer plus tard Nuseh (ce qui signifie « Espoir » en Nébullien) , était fort différent de ses congénères. Il était alors un shaman qui se passionnait pour la nature. Il possédait ainsi des herbiers gigantesques, connaissait le nom et la manière d’éviter toutes les créatures des environs de Lebab, et était capable de soigner bien des maladies. Mais toutes ces qualités cachaient un défaut, le pire de tous : la soif de pouvoir, de contrôle sur ses semblables. Le futur alchimiste, déjà, n’avait qu’une obsession, tout connaître afin de tout dominer. Cependant, s’il se savait capable de prendre le pouvoir seul, il se posait toujours une question, au sujet des Premiers Nébulliens : s’ils étaient pour le moment paisibles, ils ne verraient pas d’un bon œil que l’un des leurs bouleverse la routine. Et, si l’égo du futur maître de l’Anima Templi était déjà assez fort pour le convaincre qu’il pouvait tuer des Premiers Nébulliens sans problème, il n’était pas assez démesuré pour croire qu’il pourrait les vaincre tous s’ils étaient réunis.
Aussi, il commença à les éliminer un par un, et discrètement. Grâce à ses connaissances, et se basant sur le fait qu’il était le seul à en connaître autant, il fabriqua de nombreux poisons invisibles qu’il distribua aux Premiers Nébulliens. Ces derniers, qui étaient une centaine à la base, ne furent bientôt plus qu’une petite vingtaine, qui crut alors à une épidémie. Prenant peur, les survivants aidés de leurs descendants creusèrent une énorme fosse dans les Carrières de Lebab et ils y jetèrent tous les cadavres de leurs frères. C’est alors que vint une peur à celui qui allait devenir Nuseh de Guspay, une peur horrible et ô combien réaliste : l’approche de la mort. Le fait de l’avoir distribuée aussi aisément, d’avoir vu comment il était facile finalement de passer de vie à trépas lui fit prendre conscience que lui aussi, il pouvait mourir rapidement. Aussi mit-il provisoirement un terme à sa campagne pour trouver une solution à son problème. Son érudition avait beau être supérieure à tout ce qui existait alors, il lui fallu plusieurs années pour mettre au point une formule basée sur l’altération des quatre éléments conjugués à des rituels en l’honneur du Keya. Il nomma cette formule Al Khemie, « la modification » en langue nébullienne, terme qui au fil des âges futurs devint l’Alchimie.
Le premier des éléments à modifier était la terre. Fidèle à ce sadisme qui allait le symboliser dans bien nombre d’autres histoires, le désormais Alchimiste pensa alors à la fosse creusée dans les Carrières de Lebab, et imagina un stratagème. Le lendemain, il convoqua la vingtaine de survivants des Premiers Nébulliens dans les Carrières, prétextant qu’il avait trouvé le moyen de les rendre à jamais immortels en se servant de la force des morts. Quand tous furent réunis, notre terrible héros révéla comment, des années plus tôt, il avait empoisonné leurs congénères, dans le seul but de devenir le seul survivant parmi les Premiers Nébulliens. Il leur parla de l’Al-Khemie, de ses recherches, et du sacrifice qu’il avait maintenant à accomplir pour commencer sa route mystique vers l’immortalité. Et tout au long de ses paroles, celui qui deviendrait le maître des templiers changea d’apparence, révélant sa vraie nature. Sa peau s’assombrit jusqu’à devenir complètement noire, et ses yeux devinrent une brûlante lueur jaune. Toute sa morphologie fut transformée par sa haine.
Et alors que les Premiers Nébulliens, au départ horrifiés par les propos de leur frère, se rendaient compte de ce qu’il allait arriver et commençaient à fuir, l’Alchimiste révéla les pouvoirs que conféraient la haine aux êtres créés par le Keya. De ses mains jaillirent des éclairs qui paralysèrent instantanément tous les fuyards qui tombèrent dans la fosse. Il fit ensuite tomber des torrents de terre au-dessus des malheureux, les vouant à une mort atroce sous des dizaines de mètres de terre. Seul au milieu de ce spectacle macabre, celui qu’on nommerait Nuseh se mit à prier, remerciant le Keya de lui avoir donné la chance de goûter au vrai pouvoir, et lui promettant qu’un jour, il transmettrait ce pouvoir à des descendants… si toutefois ceux-ci s’en montraient dignes. Tournant les talons aux enterrés vivants qui hurlaient leur désespoir, remis de leur paralysie, l’Alchimiste rabattit sa capuche sur sa tête et ferma son manteau, afin que nul ne puisse voir quelle était désormais sa différence qu’il désirait cacher jalousement. Puis, au moyen de ses éclairs, il détruisit le symbole de l’unité des Premiers Nébulliens, la tour de Lebab, qui avait le pouvoir de garder les descendants unis. Du fait de la destruction de la tour, les descendants partirent chacun de leur côté, et formèrent ainsi les premières tribus Nébulliennes. Pendant ce temps, l’Alchimiste jubilait : la calcination, le rituel de la Terre, était accompli.
Ainsi naquit l’œuvre au Noir, fondée à partir de la Terre, qui constitue le premier jalon du Grand Œuvre Alchimique.