Nebullia, Montagnes du Nord, il y a quelques jours.
Une simple bougie filtrait à travers la fenêtre encrassée du bâtiment dans lequel Nicolède s'acharnait sur son papier. La nuit était tombée depuis fort longtemps, et il ne faisait jamais bon de s'aventurer au-dehors une fois que l'obscurité régissait le ciel de Nebullia. Cette règle de précaution s'appliquait tout particulièrement aux montagnes du Nord, où, depuis la nuit des temps et la manifestation des trois formes primaires du Keya, vivaient une foule de créatures mythiques plus dangereuses les unes que les autres. Au fil des siècles, dragons, nains et géants s'étaient succédés dans cet endroit perdu du monde des Gulr. Et encore, comme pratiquement personne n'avait vécu en ce lieu, on ne connaissait pas grand chose de son histoire...
Seuls les nains avaient été assez fous pour construire une ville, là, perdue au fond de la montagne. Keldan Dayong, voici des siècles, avait, sur l'ordre d'Erst Gulr, mené une expédition dans l'unique but inavoué de dérober le précieux secret de fabrication du mythril, métal ô combien résistant, aux orfèvres et forgerons nains. Et, depuis ce temps, la ville était tombée à l'abandon, demeurant toutefois en parfait état de fonctionnement. C'était l'une des raisons principales de l'établissement du Cortex en ce lieu. Le bruit de la plume de Nicolède grattant le parchemin s'arrêta un instant. N'avait-il pas entendu le bruit d'une porte qui grinçait ? Quelques secondes s'écoulèrent, et lorsque le sage fut certain de ne rien percevoir d'autre que les battements affolés et stressés de son pauvre coeur, il reprit le cours de son écriture et de ses pensées.
Comme beaucoup de membres du Cortex, Nicolède avait jadis été un fidèle servant du culte du Keya. Il avait même été, comble de l'honneur, nommé Secrétaire Archiviste de la Bibliothèque Impériale du temps de Gilmambor Saeculia Gulr. Cet ancien poste lui avait conféré d'immenses responsabilités au sein du Cortex. Ce dernier était un conglomérat d'activistes religieux, philosophes, poètes ou encore scientifiques, réunis dans un seul but, effectuer une transition claire en Nebullia après le départ des éminences grises de Nebullia. On ne comptait aucun militaire dans le Cortex, aucune arme, aucune armure : tout était voué au pacifisme le plus total. On en avait assez des guerres, des manipulations -qu'elles viennent des templiers, des Gulr ou de la Confrérie-, du sang et des meurtres. On voulait enfin vivre dans la lumière et dans l'amour.
C'était ce message qui avait convaincu Nicolède et bien d'autres de quitter la capitale pour les froides et rugueuses montagnes du Nord. Et, dès son arrivée, Nicolède s'était vu confier une très importante mission : expliquer aux Nébulliens l'état actuel des choses. L'empire des Gulr était devenu très chaotique. On ne savait ce qu'il était advenu de Gilmambor Gulr, l'empereur, et de ses fidèles suivants. On avait même reperdu la trace de l'Anima Templi et de son maître immortel, Nuseh de Guspay. Seuls subsistaient encore en faction à Nebullia comme en Eden une poignée d'officiers, comme les généraux Scarnade ou Arminas Oronar qui tentaient, tant bien que mal, de continuer à faire perdurer le dogme des Gulr. Mais ils s'étaient vite trouvés débordés, et c'est là que le Cortex avait apparu, voulant instaurer une puissante république, non plus gouvernée par l'élitisme comme c'était le cas depuis plusieurs millénaires, mais bel et bien par le peuple lui-même.
Ce courant suscitait de plus en plus d'enthousiasme dans le peuple Nébullien, à mesure que la poigne des derniers dirigeants fidèles aux Gulr s'émiettait. Les pélerins étaient toujours plus nombreux à affluer vers le refuge du Cortex, dans les montagnes, et bientôt on viendrait à manquer de place pour les accueillir. Ce serait alors le moment pour le peuple de marcher vers la capitale, sa capitale, pour y déposer, pacifiquement sinon autoritairement, le pouvoir en place. Nicolède marqua une nouvelle pause : la flamme de la bougie qui tentait faiblement de l'éclairer, au milieu de cette nuit très froide, n'avait-elle pas tremblé ? Ce devait être un effet de son imagination, car la porte de sa chambre, qui lui faisait face, ne s'était pas ouverte, il en était certain. Pas plus que la fenêtre à sa droite. Il n'y avait aucun courant d'air dans la pièce. L'ancien archiviste balaya cette dernière du regard. Le meublier y était restreint, se voulant en totale rupture avec l'habitude de luxe du régime contre lequel le Cortex luttait. La lumière ne parvenait pas à éclairer tous les recoins de la chambre, mais, pour autant que Nicolède puisse en juger, il y était seul.