Genus Eris, la Renaissance

Nuseh de Guspay
Legio Ombrae


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Il y a 11 ans | Le 23 May 2012 20:16:08
Nebullia, Montagnes du Nord, il y a quelques jours.

Une simple bougie filtrait à travers la fenêtre encrassée du bâtiment dans lequel Nicolède s'acharnait sur son papier. La nuit était tombée depuis fort longtemps, et il ne faisait jamais bon de s'aventurer au-dehors une fois que l'obscurité régissait le ciel de Nebullia. Cette règle de précaution s'appliquait tout particulièrement aux montagnes du Nord, où, depuis la nuit des temps et la manifestation des trois formes primaires du Keya, vivaient une foule de créatures mythiques plus dangereuses les unes que les autres. Au fil des siècles, dragons, nains et géants s'étaient succédés dans cet endroit perdu du monde des Gulr. Et encore, comme pratiquement personne n'avait vécu en ce lieu, on ne connaissait pas grand chose de son histoire...

Seuls les nains avaient été assez fous pour construire une ville, là, perdue au fond de la montagne. Keldan Dayong, voici des siècles, avait, sur l'ordre d'Erst Gulr, mené une expédition dans l'unique but inavoué de dérober le précieux secret de fabrication du mythril, métal ô combien résistant, aux orfèvres et forgerons nains. Et, depuis ce temps, la ville était tombée à l'abandon, demeurant toutefois en parfait état de fonctionnement. C'était l'une des raisons principales de l'établissement du Cortex en ce lieu. Le bruit de la plume de Nicolède grattant le parchemin s'arrêta un instant. N'avait-il pas entendu le bruit d'une porte qui grinçait ? Quelques secondes s'écoulèrent, et lorsque le sage fut certain de ne rien percevoir d'autre que les battements affolés et stressés de son pauvre coeur, il reprit le cours de son écriture et de ses pensées.

Comme beaucoup de membres du Cortex, Nicolède avait jadis été un fidèle servant du culte du Keya. Il avait même été, comble de l'honneur, nommé Secrétaire Archiviste de la Bibliothèque Impériale du temps de Gilmambor Saeculia Gulr. Cet ancien poste lui avait conféré d'immenses responsabilités au sein du Cortex. Ce dernier était un conglomérat d'activistes religieux, philosophes, poètes ou encore scientifiques, réunis dans un seul but, effectuer une transition claire en Nebullia après le départ des éminences grises de Nebullia. On ne comptait aucun militaire dans le Cortex, aucune arme, aucune armure : tout était voué au pacifisme le plus total. On en avait assez des guerres, des manipulations -qu'elles viennent des templiers, des Gulr ou de la Confrérie-, du sang et des meurtres. On voulait enfin vivre dans la lumière et dans l'amour.

C'était ce message qui avait convaincu Nicolède et bien d'autres de quitter la capitale pour les froides et rugueuses montagnes du Nord. Et, dès son arrivée, Nicolède s'était vu confier une très importante mission : expliquer aux Nébulliens l'état actuel des choses. L'empire des Gulr était devenu très chaotique. On ne savait ce qu'il était advenu de Gilmambor Gulr, l'empereur, et de ses fidèles suivants. On avait même reperdu la trace de l'Anima Templi et de son maître immortel, Nuseh de Guspay. Seuls subsistaient encore en faction à Nebullia comme en Eden une poignée d'officiers, comme les généraux Scarnade ou Arminas Oronar qui tentaient, tant bien que mal, de continuer à faire perdurer le dogme des Gulr. Mais ils s'étaient vite trouvés débordés, et c'est là que le Cortex avait apparu, voulant instaurer une puissante république, non plus gouvernée par l'élitisme comme c'était le cas depuis plusieurs millénaires, mais bel et bien par le peuple lui-même.

Ce courant suscitait de plus en plus d'enthousiasme dans le peuple Nébullien, à mesure que la poigne des derniers dirigeants fidèles aux Gulr s'émiettait. Les pélerins étaient toujours plus nombreux à affluer vers le refuge du Cortex, dans les montagnes, et bientôt on viendrait à manquer de place pour les accueillir. Ce serait alors le moment pour le peuple de marcher vers la capitale, sa capitale, pour y déposer, pacifiquement sinon autoritairement, le pouvoir en place. Nicolède marqua une nouvelle pause : la flamme de la bougie qui tentait faiblement de l'éclairer, au milieu de cette nuit très froide, n'avait-elle pas tremblé ? Ce devait être un effet de son imagination, car la porte de sa chambre, qui lui faisait face, ne s'était pas ouverte, il en était certain. Pas plus que la fenêtre à sa droite. Il n'y avait aucun courant d'air dans la pièce. L'ancien archiviste balaya cette dernière du regard. Le meublier y était restreint, se voulant en totale rupture avec l'habitude de luxe du régime contre lequel le Cortex luttait. La lumière ne parvenait pas à éclairer tous les recoins de la chambre, mais, pour autant que Nicolède puisse en juger, il y était seul.

Nuseh de Guspay
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Il y a 11 ans | Le 23 May 2012 20:16:22
Ramenant ses yeux sur son parchemin, son coeur manqua un battement. Le feuillet n'était plus posé, mais était tenu dans une main gantée de noir. Levant les yeux, Nicolède observa l'intrus. Il était grand, très grand, vêtu d'une immense soutane noire, dont la capuche était rabattue, rendant l'identification du visiteur impossible. Au cou de ce dernier pendait un curieux pendentif : un globe de verre dont les couleurs changeaient subtilement, passant tantôt au rouge, au blanc, au noir, puis à l'or. Alors, seulement, Nicolède reconnut qui se tenait devant lui. Mais c'était impossible. Il avait disparu depuis plusieurs mois, certains allaient même jusqu'à dire avec serennité qu'il avait fini par périr... Comment se faisait -il, alors, qu'il puisse se tenir là, devant lui, lisant le texte de l'Archiviste ? L'heure n'était guère aux questions, cependant. Nicolède le savait, si l'Alchimiste était là, dans sa chambre, cela n'augurait rien de bon... C'est alors que cette voix grave que tous pensaient définitivement éteinte, cette voix qui était devenue célèbre en raison de sa science et de son fanatisme, cette voix qui n'appartenait à nul autre que Nuseh de Guspay, rompit le silence inquiétant du moment.

"Bonsoir, Nicolède. Je vois que ta foi envers tes maîtres n'est pas sans faille. Mais qui pourrait punir un tel manque de dévotion, mon ami ? Qui pourrait continuer de croire alors que tout semble fini, qui pourrait continuer à se battre pour une cause qui apparaît comme perdue, envolée, détruite ? Je ne suis pas là pour te réprimander à ce sujet, ni sur un autre sujet d'ailleurs. Je viens ici pour me servir de toi. Car j'ai un message à faire passer aux pauvres imbéciles qui se réunissent sous ce nom idiot du Cortex. Un message d'espoir, vois-tu, un message leur proclamant que la lumière de l'Empereur, qu'ils croyaient tous perdue, est bien là, de retour pour les guider sur le long chemin de la vie. Mais, malheureusement, pour toi Nicolède, puisque tu seras le porteur de mon message, il n'y a plus d'espoir, plus de long chemin à parcourir. Lorsque demain, les coqs qui s'agitent dans la cour en-dessous de ta fenêtre auront chanté trois fois, tu seras mort. Saisissez-le."

Aussitôt, deux gardes surgirent du néant et empoigèrent le pauvre Archiviste, qui essaya bien de se débattre, mais en vain. Il ne pouvait rien contre deux hommes entraînés, n'ayant jamais été un homme de combat mais un être de science et d'histoire. Alors, il cessa de se débattre, espérant qu'au moins, sa fin serait rapide. Quand il vit Nuseh chauffer sa lame dans la flamme de la bougie qui avait étrangement doublé de diamètre, il sut que son agonie serait lente... et très douloureuse. L'Alchimiste reprit alors la parole.

"Pour que nul ne puisse plus être l'auteur de fausse propagande et de propos opposés à notre grande religion, que la langue de l'hérétique soit tranchée."

L'un des gardes, prenant une tenaille qui pendait à sa taille, l'enfonça sans ménagement dans la bouche de Nicolède, et attrapa la langue, la tirant à l'extérieur. D'un coup net, l'Alchimiste la trancha. L'Archiviste voulut hurler, mais il ne parvint qu'à émettre un profond son guttural. Les trois templiers passèrent alors à leur deuxième supplice.

"Pour que nul ne puisse plus être corrompu par l'avidité de sermons malveillants et incompatibles avec notre dogme, que les oreilles de l'hérétique soient coupées."

Les gardes basculèrent la tête de l'infortuné historien, tantôt à droite, tantôt à gauche, et Nuseh, avec une précision diabolique, coupa net les deux oreilles. Nicolède n'entendait plus rien, ne pouvait plus hurler : sa douleur n'en était pas moins horrible, insupportable. Du sang coulait des trous qu'il avait maintenant à la place des oreilles, et sa bouche ne pouvait plus contenir le sang qui se déversait de sa langue tranchée.

"Pour que nul ne puisse plus être aveuglé par les mirages mirobolants d'une poignée d'individus hostiles à notre précieux culte, que les yeux de l'hérétique soient percés."

L'horreur, dans la sombre pièce, atteignait son paroxysme sans que personne ne puisse se douter de la funeste vengeance à laquelle s'adonnait les sbires de Gilmambor. Nuseh s'approcha, et, plus délicatement, savourant l'effroi qu'il lisait dans les yeux de sa victime, lui perça à l'aide de son poignard sacré. En son for intérieur, malgré toute la douleur qui était indescriptible, Nicolède priait le Keya pour qu'ils aient bientôt fini. Hélas, il manquait quelque chose...

"Enfin, pour que tous se souviennent de la véritable autorité, de la vérité qui doit éclairer à jamais leur route, pour que tous scandent d'une seule voix le nom de l'Empereur, qu'il soit gravé sur l'hérétique, à jamais, le symbole de la puissance et de l'éternel."

Nicolède était privé de plusieurs de ses sens... seulement, il put encore sentir la douleur dans son abdomen, lorsque Nuseh, à l'aide de son épée qui chauffait depuis tout à l'heure, traça délicatement dans la peau un ouroboros entourant un aigle d'or. Il le traça assez profondément pour accélerer l'agonie de l'Archiviste, mais pas assez toutefois pour lui permettre une mort rapide... Les minutes passèrent -ou étaient-ce des heures ?- et Nicolède sentit que ses tortionnaires étaient partis. Il voulu se lever, alerter qui de droit, mais que pouvait-il faire ? Il ne pouvait plus écrire, plus voir, plus parler, plus écouter. Il était le symbole de la connaissance du Cortex..; et c'est pour ça qu'il avait été choisi par Nuseh pour délivrer son macabre message. Il comprenait enfin... personne n'était assez grand pour s'élever contre l'autorité du Keya. Personne.

Au-dehors, sans que Nicolède puisse l'entendre, un coq chanta. Puis, une deuxième fois. Quand il chanta pour la troisième fois, la porte de la chambre de Nicolède s'ouvrit, laissant place à une femme de chambre... Elle ne put réprimer ses nausées quand elle découvrit, gisant au milieu d'une immense flaque de sang, les yeux, la langue et les oreilles du sage, placés sur son abdomen, tout autour de la funeste marque déposée par l'Alchimiste. Quand enfin la femme de chambre reprit ses esprits, elle prit le pouls de Nicolède, et comprit qu'il n'y avait plus rien à faire. L'ancien Archiviste était mort.

Et la Legio Ombrae renaissait.


[HRP] Note : Essayez d'être "gentils" avec ce récit, c'est le premier que j'écris depuis bien longtemps ^^[/HRP]