(Titre : A la recherche d'un assassin)

Dans chaque taverne, son surnom était sur toutes les lèvres. Son histoire remplaçait toutes les autres, le soir, au coin du feu. Il était le nouveau croquemitaine que l’on citait, pour faire obéir les enfants, la nouvelle ombre qui sévissait dans la nuit et qui préservaient les femmes infidèles de leurs frasques.

Depuis des jours, qui s’étaient transformés en mois, je suivais son parcours. J’avais assisté à sa première expérience, témoin indirect, et je notais maintenant chaque jalon qu’il laissait derrière lui. Je le sentais si proche, et pourtant inaccessible. La liste de ses victimes s’allongeait de jour en jour, et chaque nouveau corps me laissait des indices supplémentaires. Bientôt, il serait à ma merci.

Il m’avait provoqué, il y a de cela plusieurs mois…

J’étais alors heureux, insouciant. Elle était à mes cotés. Chaque jour, elle me couvait de son regard. Le bonheur simple d’une vie des plus ordinaires. Puis un matin, elle était là, à mes pieds.

Baignant dans son sang, elle avait été tuée pendant la nuit, dans notre demeure. L’assassin avait réussi à pénétrer la maison, sans bruit, sans infraction. Elle avait dû se réveiller. Elle avait toujours eu le sommeil léger. Puis plus rien. Une mare de sang. Du rouge, partout. Sur le sol, cette flaque, sur les murs, des éclaboussures. Et son corps, autrefois si pur, aujourd’hui souillé, meurtri, blessé. Qu’avais-je fait, cette nuit, pour ne pas m’être réveillé ? Encore une soirée de bringue, à rentrer aux petites heures de la nuit, ivre mort.

Ivre mort… Douce expression, pour celui qui vient de perdre sa promise. Les larmes me viennent aux yeux. Je n’ai d’autres pensées que la vengeance. Retrouver celui qui a fait ça, et le mutiler comme il a mutilé ma bien-aimée. Le faire souffrir, et le faire crever à petit feu. Me délecter de ses cris de douleur, observer son visage tordu par l’horreur. Oh, oui, car de l’horreur, de la souffrance, il en verrait passer, nul doute à cela.

Il lui fallait ressentir mon calvaire, et celle de ma compagne. Il fallait qu’il se rende compte de ce destin brisé, de ces projets inachevés. Ma séance de torture durait depuis des mois. Je ne connaissais pire châtiment. Je ferais office de novice, en comparaison, avec les lames acérées. Une pâle copie de ce maitre en tourment. Après tout, blessures de chair et blessure de l’âme, voilà de plaies si différentes.

Le temps soigne tout, m’a-t-on dit, un jour. Foutaise. Qui peut se permettre des banalités pareilles ? Celui qui s’est fait quitter par sa femme, lasse d’être trompée avec toutes les chiennes en chaleur qui accostaient son époux ? Celui qui s’est entaillé le bras, et qui aura une cicatrice à vie ? Aucun d’eux n’a perdu sa raison de vivre. Sa propre vie. S’ils savaient, ils ne se répandraient pas en balivernes.

Le temps avait passé. Plusieurs mois s’étaient écoulés. Qu’il serait doux de parler de plaie béante dans mon cœur, de trou dans ma poitrine. Ce n’est pas ainsi que l’on ressent ce type de manque. Je ne restais pas amorphe. Au contraire. J’étais un vrai diable, à me démener, à courir de droite et de gauche. Mes muscles n’étaient plus que douleur, à errer ainsi de par le monde. Les paysages passaient sous mes yeux, mes pieds foulaient différents sols, rocailleux, sableux, humides…

J’aspirais à cet effondrement du corps qui me ferait oublier quelques minutes ma vie passée. Mais je restais toujours aussi actif, surexcité par ce monde qui n’était plus le mien, où je n’avais plus ma place.

Et le temps continuait de passer…



[to be continued]