Jamais.
Jamais, Ô grand jamais, une Ombre, aussi intelligente soit-elle, n’égalera un Gulr.
Mais une d’entre elle voulu s’y risquer.
Terre de Baduk, Eden, de nos jours.
Arminas Oronar, l’Ombre du Destin, se trouvait aux abords d’un lac couvert d’une épaisse couche de glace.
C’était l’hiver, en Eden, et dans la région montagneuse où il se trouvait, il avait neigé en abondance, ces derniers temps.
Il se rendait pour la première fois depuis qu’il était Ombre, là où il avait vécu en ermite, des années durant.
Alors qu’il avançait autour des rives du lac qu’il avait jadis arpenté de nombreuses fois, Arminas avançait vers une excavation qui se démarquait nettement sous le manteau blanc du décor.
Il marqua une légère pose. C’était à cet endroit précis qu’il avait vu pour la première fois Elessar, l’Ombrae Censor.
Arminas ressentit un frisson lui parcourant l’échine. Maintenant qu’il était Ombrae, il ressentait le pouvoir du Keya qui avait été exercé ici.
Mais la simple apparition de l’Ombre du Censor ne pouvait provoquer un frisson si intense.
Son regard se tourna machinalement vers son antre.
Oui.
Elessar lui avait signifié que cet endroit était jadis l’un des nombreux portails menant de Nebullia en Eden, l’œuvre de la puissance du Keya se faisait toujours ressentir, des millénaires après.
Il pénétra dans la grotte.
Rien n’avait changé. Son lit de paille était toujours au même endroit, bien que désormais amoindrit et légèrement décomposé, la grosse pierre où il avait prit l’habitude de s’assoir était là, elle aussi.
Sur le sol, il remarqua l’empreinte qu’il avait laissée, lorsque, durant toute une journée, il avait attendu la venue d’Elessar.
Tracés sur les murs, les glyphes noirs étaient toujours là, eux également, toujours aussi nets qu’avant, à la seule différence que, maintenant, Arminas pouvait les lire, bien qu’ils n’aient aucun sens.
Lorsqu’il s’en approcha, ils se mirent à scintiller, et à se mouvoir sur les murs. Il attendit qu’ils s’immobilisent, lorsque le même pentagramme qu’il avait traversé pour se rendre pour la première fois en Nebullia apparut sur le mur. Préférant l’ignorer pour l’instant, il se lança dans sa lecture, car désormais, le texte avait une signification :
« A toi qui lit ces mots,
Voici l’histoire de l’Homme-qui-sait.
Voici l’histoire du Proscrit.
Voici mon histoire.
Je fus par le passé,
Un homme à gouverner,
Mais le puissant Keya,
Vint à choisir pour moi :
Par le Gulr Premier,
Je serais initié,
A la voie du Keya.
Vint un jour ce combat,
Qui, par sa triste perte,
Fit de moi un pariât.
La mort vient m’arracher.
Perce mon lourd secret,
Car c’est là ton destin,
D’obtenir ce butin. »
Après cela, il n’y avait plus de glyphes.
Arminas traversa le portail une nouvelle fois. Et une fois encore, le voyage lui sembla durer des heures.
Lorsqu’il rouvrit les yeux, il se trouvait dans Sante Keya, devant les tapisseries accrochées aux murs, représentants les divers Gurls qui furent initiés au dogme du Keya.
Ainsi donc ces portails ne donnaient pas uniquement sur la même destination, mais ils envoyaient les personnes qui les utilisaient à l’endroit où ils devaient se rendre.
Son regard fut attiré par la représentation d’un Gulr aux yeux rouges, Moach, qui se trouvait entre Erst et Eziak.
Se retournant, il aperçut Gilmambor qui s’apprêtait à quitter la chapelle.
L’Ombrae laissa son Empereur vaquer à ses occupations et s’approcha plus près d’un des nombreux pupitres. Sur l’un d’eux, protégé par une plaque de verre, se trouvait un vieux feuillet sur lequel se trouvait l’illustration d’une des batailles les plus mémorables de l’histoire de Nebullia.
La légende indiquait :
« Moach Gurl et ses cinquante, luttant contre les deux derniers trolls de Nebullia : Mornuk et Togruk.»
L’Ombre du Destin ne pouvait ignorer tant de signes. Tout semblait indiquer une relation avec Moach Gulr.
Il en appela le pouvoir des Ombres, afin de se téléporter dans le Marais de Nebullia, sur les ruines du Château de la Ligue des Eaux.
Dès lors, les Ombres s’emparèrent de lui, s’entrelaçant en de minces volutes de fumée noire, jusqu’à ce que son corps disparaisse dans les ténèbres.
Car c’était dans l’ordre des choses de suivre son destin, le Keya lui-même intervint dans ce déplacement cosmique.
Lorsqu’Arminas Oronar rouvrit les yeux, il s’attendait à se trouver dans le Marais, mais au lieu de ça, il se trouvait dans le néant. Au loin, il aperçut une lueur dorée qui se rapprochait rapidement de lui.
Enfin, il put distinguer ce qui provoquait cette lumière : un gigantesque aigle doré.
Une fois encore, il entonna le Doleo en fermant les yeux. Lorsqu’il les rouvrit, le volatil avait reprit la forme qu’il avait déjà prise pour s’adresser à Arminas : Dragramas Arsir, son ancien maître d’armes.
Lorsqu’il prit la parole, sa voix était grave, mais douce, apaisante à ses oreilles :
« Arminas Oronar. Ton destin est tout tracé. Tu es destiné à retrouver le bâton perdu du Gulr Moach.
Sache qu’en réalité, ce trésor n’est pas perdu, mais caché. Il s’agit de ton œuvre, Ombre du Destin.»
« Moi ? Mais c’est impossible, Moach a perdu son bâton il y a des millénaires, mes parents n’étaient même pas venus au monde.»
« En ces lieux, nous transcendons l’espace et le temps, Arminas. Je t’ai accordé ce pouvoir lors de ton initiation au Dogme, bien que jusqu’à présent, jamais tu n’aies pu le maîtriser. Ici, le temps, l’espace n’ont aucun pouvoir. Seul le Néant prédomine.
Lorsque tu quitteras cet endroit, tu te retrouveras là où tu dois être. Sans aucun souvenir de cette discussion. »
D’un simple revers de bras, Dagramas Arsir fit disparaître Arminas Oronar dans les ténèbres.