LE SIGNE DU PRAEFECTUS.
Dans une tour de Nebullia, une ombre se mouvait, elle avançait furtivement parmi les escaliers et les couloirs.
La porte des appartements du Praefectus s’ouvrit. Dans son encadrement se tenait Arminas Oronar, ses yeux rouges flottant dans les ténèbres, sa cape noire foulant doucement le sol de pierre.
La pièce était vide de vie, froide, abandonnée depuis déjà plusieurs jours. D’un revers du bras, il dissipa l’obscurité ambiante, et pénétra dans l’antre de Vouldhir.
Son regard fit le tour de la pièce, nostalgique.
Il se revoyait là, assit devant l’âtre de la cheminée, en train de bavarder en compagnie du Praefectus.
Sur le montant de la cheminée était gravé dans la roche le crédo des Ombres « Quae Keya Protego Ombrae », sans doute gravé par le premier Praefectus de Nebullia.
Une bûche calcinée tomba en cendre, sortant Arminas de ses pensées.
Il s’approcha du bureau de Vouldhir.
Il s’y trouvait une statuette en or, qui représentait un aigle, symbole du Keya, divers objets inconnus à Arminas, mais certainement communs à son ami.
Il y avait, posé sur la droite du bureau, un tas de vieux grimoires. L’un d’eux était encore ouvert, face au fauteuil pourpre, rembourré de coton.
Arminas s’y assit. Il était confortable, agréablement moelleux.
Il prit le livre dans ses mains, et lut la couverture gravée en lettres d’or « Faune et Flore de l’Empire Gulrien : une étude approfondie de la vie, de l’Eden à Nebullia. »
Arminas esquissa un léger sourire.
Ainsi donc, Vouldhir n’était pas le seul environnementaliste qu’ait connu la Légion des Ombres.
Ce grimoire était, encore une fois, la preuve de la culture du Praefectus, une Ombre qui s’intéressait à tout.
Il retourna le volume. Il en glissa quelques végétaux secs.
« Un herbier. » murmura Arminas. « Tu me surprendras toujours, mon ami… » .
L’aigle d’or, posé sur le bureau, scintilla plus fort, un court instant.
Arminas tourna les pages, sans vraiment les voir. Soudain, il remarqua une feuille étrangement familière, restée coincée entre deux pages. Il ouvrit le livre à cet endroit, en retirant une de ces « mauvaises herbes », que le Praefectus lui avait fait arracher, dans les jardins de Nebullia, alors qu’il n’était encore qu’un Aspirant du Keya.
Arminas explosa de rire, incapable de se contenir. Un rire franc, mais toutefois nostalgique.
Il glissa l’herbe dans sa poche et repensa aux paroles de Vouldhir.
« Il n’y a aucune relation entre l’herbe et le Keya. L’homme ne peut tout mettre en relation. La seule relation possible, est une relation que tu auras inventée pour me satisfaire. »
L’aigle sur la table scintilla de nouveau. Arminas s’en saisit, afin de l’observer de plus près. Sous son socle était gravés les mots [/i]« Je suis la voie du Keya, et je suis sa voix. »[/i], une autre parole bien connue des Ombres.
Etait-ce un signe du Keya ? De Vouldhir lui-même ?
Arminas se souvint alors des paroles qu’avait eu le Praefectus, quelques jours avant qu’il ne rejoigne le Keya.
« Seul le Keya sait. »
Il se pencha sur le grimoire, et lut la double page consacrée à une créature du Keya, le « Cheval de L’Ombre. »
« Créature vestige des temps des Gulrs, bannis de Nebullia après la chute du Grand Gulr Esiak.
Le Cheval de l’Ombre est un animal puissant et rapide, vivant en troupeau dans les régions glacées de l’Eden.
Autrefois, le Cheval de l’Ombre vivait sur tout Nebullia, investissant peu à peu l’Eden.
Difficilement contrôlables, la plupart étaient laissés en liberté. Seuls les Gulrs et quelques puissantes et malignes Ombres parvenaient à les dresser et les monter.
Le Cheval de l’Ombre, une fois apprivoisé est loyal et fidèle.
On ignore toutefois son régime alimentaire : les secrets des Gulrs se perdent avec le temps. »
La conclusion de l’auteur du livre ne faisait guère plaisir à Arminas. Aussi, il préféra observer la seconde page, une illustration magnifique de la bête, dressée sur ses pattes arrière, sa crinière dorée secouée par une force bestiale, la petite corne qui dépassait de son crâne, et ses yeux rouges sang.
Un être grand, aux yeux aussi rouges que le cheval –sans doute un Gulr- tendait sa main vers la gueule de l’animal, apparemment sans aucune peur, tandis qu’un éclair zébrait le ciel sombre et pluvieux derrière eux.
Arminas referma le volume d’un claquement sec, et se mit à réfléchir.
Vouldhir lui avait-il réservé une autre de ces épreuves dont il se délectait de la difficulté ?
L’aigle d’or scintilla de nouveau, dans le coin de l’œil d’Arminas.
Oui, il en était persuadé. Ces signes étaient clairs, il devait trouver et dresser un de ces chevaux.
L’Ombre du Destin allait encore entrer en scène…
[…]