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Longue soirée dans le Caveau qui se termine, une coupe de vin à la main, la tête de ma douce Elenna sur mon épaule, les yeux clos, endormie profondément depuis bientôt une heure. Je me contente de finir ma coupe, à mon rythme, je bois le vin bien moins rapidement que le sang pour la simple raison que l’alcool de raisin ne me mène point à un état de frénésie qui me pousse à la gourmandise irréfléchie. Ce qui m’a demandé quelques exercices avec les années pour éviter de conduire mon ange à la mort, le sang d’Elenna est tout autre que celui d’une humaine ou même de n’importe quelle transformée, sans doute a-t-il vraiment quelque chose de plus dû à ses origines dont je ne capte pas encore toutes les subtilités. J’irai un jour m’adresser à Alkantar pour en savoir plus, ou plutôt à Howl, je pense qu’il est plus au fait de ces genres de choses quelques peu occultes pour un simple vampire tel que moi.
Mon verre vide, je le pose sur la petite table à côté du fauteuil que nous occupons, repousse légèrement sa tête afin de pouvoir libérer mon épaule qui commence à fourmiller, je guide délicatement le corps d’Elenna pour le mettre confortablement en position allongée en prenant soin de ne point la réveiller. Ensuite j’enlève mon long manteau, l’étend sur elle par pure tendresse, attention amoureuse, de par sa condition elle ne craindra jamais le froid. Je reprends le verre que j’avais posé et en profite pour ramasser celui d’Elenna également, vide depuis bien plus longtemps, la lie s’écaillant déjà à cause du froid qui règne ici. Je m’en vais poser les deux coupes sur le long meuble de chêne que nous utilisons pour stocker nos bouteilles, qui ne sont pas vraiment les nôtres pour certaines. Il y a ici des vins elfiques datant de bien avant notre venue, certaines bouteilles ont même l’âge d’Elenna … mais aucune n’a le mien, sinon l’on boirait du vinaigre c’est sur.
J’observe alors le visage de celle qui partage ma vie depuis déjà quelques longues années, et qui m’a fait l’honneur il y a peu d’une infante. Ce genre de visions est un privilège je dois dire, si un inconnu autre que son père ou moi-même venait à assister à son sommeil, Elenna perdrait alors une grande partie de crédibilité, elle qui parait si froide face à nos visiteurs désireux de nous rejoindre, de nous combattre, elle est bien différente à l’instant. Malgré tout, je ne doute pas de ses capacités à savoir replanter le décor face à un indiscret, effaçant alors toute la tendresse que celui-ci aurai pu voir sur son visage.
[ … ]
Un bruit soudain, sourd me sort de mes rêveries, qu’est-ce donc ? Un nouveau visiteur, ou alors Mosuke et Oscâr ne sont pas encore apte à se déplacer silencieusement en ce lieu ? A vrai dire, je ne sais combien de temps je suis resté à admirer ma compagne sans bouger, peut-être rentrent-ils d’une longue nuit de chasse, ont-ils fait honneur à mon sceau ? Trêves de questionnement, allons voir cela par nous même. Je prends les deux clés du caveau au mur, en dépose une sur le poitrail de ma douce et je quitte la pièce avec une certaine vitesse, prenant garde à bien verrouiller le Caveau, sait-on jamais que cela soit un assassin et non un de mes bras droits, il devra défoncer le bois de la porte avant de pouvoir s’attaquer à Elenna, lui évitant une lame sous la gorge en plein dans son sommeil.
En moins d’une minute je suis dans le Hall d’entrée, aucune présence ne se permet de titiller mes sens, à croire que personne n’est passé par ici, la porte n’a pas bougé. Aucune trace sur le sol, mais malgré tout l’on n'est jamais sur de rien, il reste en ce monde des assassins qui en valent le détour et tous n’ont pas pour projet de compter parmi mes élèves. Un tour dans les couloirs serait préférable, même s’il n’y a aucune trace, aucune odeur à suivre.
J’arpente calmement les couloirs, l’oreille aux aguets, je tiens à ne pas être surpris et mis à mal si combat il y a, je passe devant les quartiers communs, il n’y a apparemment rien ici. Rien de plus qu’une vieille maison qui se met à craquer de temps à autre je pense. La méfiance se dissipe et je reprends le chemin du Caveau, empruntant le dédale des couloirs qui mènent aux pièces cachées et personnelles, lorsque je passe devant la porte de notre cœur du Funérâriùm, je ne peux m’empêcher d’actionner la poignée et d’entrer dans la salle pour découvrir sans m’y être attendu la raison du bruit sourd et de cette ronde qui s’avère finalement totalement inutile … on se sent ridicule d’avoir stressé pour toute sa coalition en l’honneur d’un livre qui tombe d’une bibliothèque.
Je m’avance vers celui-ci et le ramasse, il est grand ouvert sur une page manuscrite, ce n’est point là un simple livre, c’est l’écriture de ma future femme. Un journal en fait, je me mets à feuilleter une à une les pages, aucun homme, ni même une femme en fait, ne pourrait vraiment me blâmer pour un tel acte, je suis sur que tout un chacun cède à cette fameuse curiosité qu’est le journal d’une autre personne . Je vois défiler devant mes yeux une narration que je connais déjà, ce qu’Elenna avait daigné me dire sur elle pendant les années qui nous ont vues unis. Sa naissance plus qu’atypique, ses déboires de la Légion des Ombres et j’en passe. J’arrive à la dernière page apparemment, je découvre alors une graphie moins calme qu’avant, un fil d’écriture plus stressé que dans tout les autres chapitres. Mon sourire nostalgique se métamorphosa en une légère grimace, le visage triste, voilà un passage que je ne connaissais pas encore, je ne doute pas qu’elle m’en aurait parlé d’ici quelques temps.
Des phrases résonnent encore dans mon esprit :
« Comment pourrais-je désormais vivre alors que ce que je fuyais depuis tant d'années, jusqu'à l'en oublier, m'a rattrapé ? Moi qui éprouvais déjà de la peine à insuffler chaque matin, qui luttais chaque jour pour trouver une raison à ma subsistance, qui ne restais finalement que pour eux. Eux. Dure réalité que celle d'une vampire. Si seulement j'avais su ... »
« J’étais censée vivre une heureuse éternité près de mon éternel amour, tu sais ? Mais pourrais-je seulement survivre tout ce temps avec ce fardeau sur les épaules ? »
Pendant un instant, je souhaite accomplir son désir, déchirer cette page mais je sais que si je me laisse à cet agissement, son journal en sera détruit par ma rage ... Je referme le journal, sort de notre chambre après l’avoir remis dans l’étagère, je finis mon chemin vers le Caveau d’un pas calme, une fois devant la porte, j’y insère la clé, la tourne et entre dans le lieu que j’avais quitté une demi heure auparavant, j’y retrouve Elenna, encore assoupie, qui n’a pas bougé d’un poil pendant mon absence. Je m’installe dans le siège collé à notre fauteuil. Je me refuse à la réveiller de force, je l’observe encore quelques minutes, je me demande alors comment un visage aussi paisible puisse vivre la détresse que j’eus lu à l’instant. Je finis par placer ma tête dans mes mains, penché, les coudes sur mes genoux …