« Devient plus fort en affrontant plus fort que toi. »
C’était là la maxime préférée de son maître militaire.
Arminas Oronar n’avait pas oublié les précieux conseils de son défunt ami, Dagramas Arsir, bien qu’il en considérait maintenant la plupart comme obsolètes, de par la puissance que lui procuraient les Ombres, mais pas celui-ci.
Non, celui-ci restait vrai, qu’importe la situation. Et il le mettait en pratique à ce moment même.
A la tête d’une armée de près de mille Ombres, le Général s’avance sur le futur champ de bataille. Les adversaires n’étaient toujours pas arrivés.
Il montait Nott, son cheval des Ombres. Il se tourna alors vers son commandant :
« La lumière pense voyager plus vite que quoi que ce soit d'autre, mais c'est faux. Peu importe à quelle vitesse voyage la lumière, l'obscurité arrive toujours la première. »
Le commandant hocha la tête affirmativement. Son Général avait décidément de sages paroles.
Le sol se met à trembler. De petites pierres vibrent sur le sol aride. Quelques Ombres paniquent, mais pas lui.
Arminas est stoïque, dur comme le roc, il ne bouge pas.
Rien sur son visage, ne permet d’identifier la moindre émotion. L’armée adverse daigne apparaitre sur le lieu de leur défaite.
Des milliers. Pour chaque Ombre, on trouve en face dix hommes.
Le Général motive se troupes, il ne hurle pas, nul besoin, lorsqu’on maîtrise la télépathie.
« Ombrae ! Je ne ferai pas de long discours ! Laissez-moi seulement vous conter ce que m’a enseigné mon maître.
Avant la mêlée, il y en a forcément un qui a décidé de vaincre et un qui consent à être vaincu. Ce n’est qu’une question de répartition des rôles. Une fois que chacun a choisi le sien, le vainqueur pourra fendre l’air de sa lame, il atteindra sa cible ; le vaincu pourra enchainer les meilleures de ses parades, il n’arrivera même pas à blesser son adversaire.
Un seul conseil : il faut accepter la victoire. Tout est dans la tête. Il faut accepter la victoire et rien ne résiste.
Alors, Ombrae, quel rôle avez-vous choisi ? »
Pour toute réponse, son armée entière entonna le Doleo :
« Ô le Très-Haut,
Créateur du Tout et du Quand,
Devant les nuages assemblés qui témoignent de ta puissance,
Je m’agenouille et courbe l’échine, en signe de soumission.
Que le sang de ces victimes puisse apaiser ta colère,
Que leur cri d’agonie rassure tes oreilles,
Que leur corps se décomposant abreuve la terre de ta création,
Afin que tu nous épargnes, nous tes serviteurs.
Donne-moi la Puissance,
Donne-moi la Grandeur,
Donne-moi le Courage,
Pour que ta mémoire, encore soit honorée.
Quae Keya Protego Ombrae. »
« En avant. »
Et Nott galopa droit devant lui, les ténèbres envahissant tout. Il ressurgit quelques secondes après, devant les Hommes, une trainée obscure à sa suite.
Et tandis que les adversaires couraient à leur rencontre, les Ombres, à l’unisson, s’évaporèrent dans les ténèbres, pour se rematérialiser devant les Hommes de l’Eden.
Le combat s’engageait déjà. Souvent, la hargne des Hommes avait raison de l’habileté des Ombres, mais ceux-ci se débrouillaient quand même pour tuer bon nombre de soldats.
Les lames s’entrechoquaient, des cris de rage ou de douleur résonnaient régulièrement sur le champ de bataille, tandis que les corps mutilés et sans vie s’amoncelaient.
Tout en faisant tournoyer Tenebrae autour de lui, Arminas tuait ou bousculait de nombreux ennemis, en galopant sur son destrier. Il avait tué bien plus d’Hommes que les dix qui lui étaient destinés.
Et lorsqu’il perça le cœur de la foule, il fit disparaitre Nott. Emporté par sa vitesse, il décapita une dernière victime, avant de se retrouver encerclé.
« Rends les armes Ombrae ! »
Mais c’était hors de question. Il se redressa, et toujours droit comme la justice, il observait ses ennemis qui tuaient de plus en plus d’Ombres. Ils perdaient la bataille.
Mais c’était hors de question.
Il resserra Tenebrae dans sa main. Elle se mit à chauffer.
Il fendit l’air d’un demi-cercle, envoyant des ondes de choc dévastatrices sur ses adversaires. Plus il en tuait, plus il perdait d’énergie.
Chaque mouvement lui était pénible, la garde de son arme se réchauffait dangereusement.
Alors qu’il virevoltait, les paroles d’Elessar, la seule Ombre à devenir Gurl, lui revenaient en tête.
« Tiens, prends ceci que je te confie. Tenebrae, l’épée de Nebullia. C’est une arme puissante, et gourmande. Prend garde à ce qu’elle ne te dévore pas. »
Si l’ancien Censor était sage et réfléchit, Arminas Oronar, lui, était fougueux et impétueux.
Mourir pour le Keya n’était pas un sacrifice, surtout s’il emportait avec lui ses adversaires.
Il ne ferait alors qu’un avec le Keya.
Il envoya une dernière onde dévastatrice sur le dernier groupe de ses assaillants, puis s’effondra sur le champ de bataille.
Lorsqu’il rouvrit les yeux, Arminas Oronar ne reconnut pas l’endroit où il se trouvait.
Il n’était plus sur le lieu de sa défaite, il en était sûr.
L’obscurité de l’endroit ne lui permettait pas de voir. Il ne sentait pas le sol sous ses pieds.
Où était-il ?
Il entendit alors une voix. Une voix étrangement familière. Une voix qu’il n’avait pourtant entendu qu’une seule fois, en songe : la voix du Keya.
Au moment même où il reconnut la voix, il vit une lueur dorée apparaitre dans les ténèbres qui l’entouraient.
Arminas ferma les yeux et entonna le Doleo, comme pour remercier le Keya de l’honneur qu’il lui accordait.
« … Quae Keya Protego Ombrae. »
Lorsqu’il les rouvrit, un grand aigle d’or se trouvait devant lui.
Arminas cligna des yeux.
L’aigle avait disparu, remplacé par son ancien maître d’armes : Dagramas Arsir
« Arminas Oronar, Ombre du Destin ! Tu portes aujourd’hui le nom que je t’ai choisi.
Fais lui honneur, Ombrae.
J’ai choisis de revêtir l’apparence d’un être qui t’es cher, un être que tu respectes, un être qui t’a apprit bon nombre de choses. Sous cette apparence, j’agirai comme le ferait Dagramas Arsir.
Tu as oublié mes conseils, Arminas Oronar. Je t’ai vu devenir le guerrier le plus puissant de l’Empire. J’ai vu la mort de ta famille. J’ai vu ton déclin.
Mais je t’ai également vu revenir, plus sage et plus puissant que tu ne l’as jamais été autrefois. J’ai vu ta gloire, l’apogée de ton pouvoir, et aujourd’hui, je vois ta défaite. J’espère que ce n’est qu’une illusion.
Les Ombres sont ton domaine, Arminas Oronar. Tu sublimes leur maniement, elles performent tes capacités. Elles sont ton allié. Et ce sont de tes alliés, les plus puissantes.
Mais la puissance n’est rien sans la sagesse.
Tu t’es reposé sur les pouvoir du Keya, aujourd’hui. Tu n’as pas réfléchis aux stratégies que tu aurais du employer, Arminas Oronar.»
Arminas baissait la tête, coupable qu’il était.
« Les guerriers habiles remportent la victoire sans combattre, Dagramas Arsir. »
Le Keya l’observa, triste de le voir si sûr de lui.
« Un bon soldat remporte la victoire au combat, un bon stratège la remporte avant. Tu as oublié cette vérité, Arminas Oronar.
Nous allons devoir reprendre ta formation.
Oublis tout ce que tu sais, tout ce que tu crois savoir. Et ne retiens que ce que je vais t’enseigner.
Partons du principe que la seule vérité est "Devient plus fort en affrontant plus fort que toi. " »
[...]