RENCONTRE AVEC UNE OMBRE.
Arminas Oronar, autrefois grand guerrier, craint et redouté de tous, s’était retiré de longues années durant, loin de la foule et des fous qui la composent, dans une grotte où les parois étaient couvertes de glyphes étranges et incompréhensibles. Cette grotte se trouvait sur les terres de Baduk, là où remontent les origines de tout un chacun, sur un versant escarpé d’une petite colline déserte, seulement peuplée d’arbres et de buissons. Il s’y trouvait également un lac, ainsi qu’une petite rivière qui courrait gaiement dans les collines.
Ces longues années de latence lui furent fatales : son entrainement oublié, sa sédentarité l’ayant empâté, il n’avait plus rien d’un grand guerrier. Il était cependant fin stratège, et son intelligence, alliée à sa capacité de bricolage lui permirent de chasser sa nourriture sans se fatiguer, des années durant.
C’est un début de soirée, lors d’un hiver particulièrement rigoureux, en allant se débarbouiller dans le lac, et relever ses pièges, qu’Arminas Oronar fit la rencontre d’une Ombre…
[…]
L’ancien guerrier était vêtu d’un vieil uniforme cuirassé, tombant en lambeaux par endroits, d’une paire de souliers aussi sales qu’usés. Il était sale, avait des cheveux longs et emmêlés, et portait une longue barbe grise qu’il n’avait pas taillée depuis des lustres.
Il marchait tranquillement, observant le soleil qui commençait à se coucher, au sommet de la plus petite colline. Il s’agenouilla sur les rives du lac, et commença sa toilette, se délectant par la même occasion de l’eau fraîche et revigorante qu’il contenait.
Il s’arrêta soudain, mitigé. Il était à la fois sûr d’être seul, et sûr d’être observé.
Un sentiment étrange.
Un sifflement.
Un bruissement dans les fourrés.
Arminas se retourna vivement et scruta les alentours. Il ne vit rien, et alors que la nuit tombait enfin, il retourna à sa toilette tout en pensant que, de toute façon, il était un vieil homme, seul, fatigué, sûrement malade, et désarmé, qui plus est. Qui ? Qui donc pourrait en vouloir à sa vie ?
« Qui ? Qui est là ?! » Cette fois, plus de doutes possibles, quelqu’un l’observait en silence. Il plissait les yeux pour mieux voir, mais en vain. Il se tourna une fois encore vers l’eau miroitante.
Si la personne qui l’observait refusait de se montrer à lui, ce serait lui, qui la trouverait.
Cinq minutes passèrent, sans qu’Arminas ne bouge, malgré les nombreux bruits suspects de l’individu qui l’entourait, quand soudain, dans le reflet de l’eau, il aperçut un œil d’un rouge écarlate.
Il se figea, l’oreille aux aguets et plongea sa main dans l’eau glacée, tandis qu’une autre se posait sur son épaule droite.
Il ne s’était plus senti aussi vivant qu’à cet instant depuis des années, depuis qu’il avait renoncé au monde tel qu’on le connait. Avec les réflexes d’un jeune homme de vingt ans, il se retourna, et lança le galet qu’il avait récupéré au fond de l’eau, droit dans la tête de son agresseur.
La pierre siffla quelques centièmes de secondes, traversa sa cible, sans qu’on entende le moindre bruit, sans provoquer le moindre choc, sans même atterrir de l’autre côté du visage de l’Ombre.
Arminas fixait l’Ombre, d’un regard ancré de terreur. Jamais il n’avait vu ce genre de phénomène. Comment était-ce possible ? A qui, ou plutôt, à quoi avait-il affaire ?
L’Ombre se pencha sur le vieillard agenouillé, les mains au dessus de la tête et lui susurra :
« Arminas Oronar, toi qui fut un des plus grands guerriers que ce monde ait connu en ton temps, toi, le vainqueur de la bataille du Poste Avancé de la Garde Royale, toi qui a tué tant d’âmes… Regardes toi, Arminas Oronar, regarde ce que tu es devenu ! Un vieux misérable qui demande grâce !
Je peux changer ton destin, Arminas Oronar. Je peux te rendre ta force, ta fougue et ta jeunesse d’antemps. Rejoins-moi. Rejoins-nous ! Nous ne voulons que deux choses en échange, Arminas Oronar. Ta servitude, et ton corps… »
Arminas se vit soudain, noir, sombre comme l’était son roi, avec une puissance incommensurable qu’il pouvait maîtriser à volonté. Il se vit Ombre, il se vit grand.
« Arminas Oronar, je te retrouverai dans ta grotte de solitude d’ici vingt-quatre heures. Et alors, Arminas Oronar, tu devras me donner ta réponse… »
Mais Arminas Oronar est intelligent, il réfléchit vite, et comprend le sens des paroles des autres, mieux que quiconque. Sa réponse est déjà négative. Non, pourquoi vendre son corps et son âme ?
Pour la puissance, pour la gloire, pour l’immortalité…
Oui, s’étaient de bonnes raisons.
C’est ainsi que le lendemain, Arminas Oronar avait passé sa journée dans sa grotte, s’habituant à l’obscurité. C’est ainsi qu’il L’avait attendu, l’Ombre du Keya.
[...]