La nuit tombait lentement sur la façade murale du Funérâriùm enveloppant celui-ci d'un voile épais aussi obscur que le pourrait être le Néant, aussi sombre que l'était mon coeur. En cette nuit où la Lune semblait ne vouloir se montrer, mes pensées étaient toutes aussi obscurcies que la Terre bercée par les Ténèbres. J'avais demandé à être seule, m'étant enfermée dans le Caveau afin d'espérer y voir un peu plus clair, raison pour laquelle Yürèc s'en était allé avec Orisha dans l'unique but de chasser le temps que mes réflexions trouvent un chemin de vérité. A vrai dire, il y avait là bien du travail à faire et il était plus que probable que jamais je ne trouvasse réponse à mes questions.
Tout avait été si étrange ces derniers jours, entre Howl qui semblait étrangement épris d'affection à mon égard et mon père qui laissait derrière lui des sous-entendus plus qu'étonnant. Cela venait à remettre en question bon nombre de choses que l'on m'avait appris comme si tout n'avait été que piètre mensonge ; mais dans tout ce chaos qui régnait dans ma tête la question que je venais à me poser se rapprochait plus du pourquoi que de la vérité des faits. Après tout, que l'on m'inventât une vie m'importait peu car celle-ci me plaisait malgré les passages obscurs que j'avais du traverser, mais quelles avaient été les raisons qui avaient poussé les deux plus grands acteurs de mon existence à me mentir à ce point ? Etait-ce dans l'unique but de me protéger ou bien n'était-ce là que pur acte égoïste ?
Assise au fin fond de mon fauteuil quelque peu usagé par le temps et l'humidité, les ongles s'insérant dans la toile rouge parme qui le recouvrait, je repassai en revue les différentes possibilités que j'avais pu trouver concernant les raisons de l'éternelle mascarade qu'avaient pu monter mon père et Howl. A vrai dire, aucune raison si ce n'est me protéger ne semblait tenir la route. Mais alors venait une autre question, comme si aucune de mes réponses ne parvenait à trouver une vérité décisive. Tel était mon esprit cette nuit là, traversé par un tourbillon sempiternel de questions. Yürèc et Orisha en avait probablement pour la nuit, même s'il n'était possible de faire perdurer plus longtemps cette solitude souhaitée car il n'était pas envisagé de mener mon Aimé à une mort subite une fois que les premiers rayons du soleil aurait percé de derrière les montagnes enneigées.
D'un geste vif je desserrai mon emprise du fauteuil, puis me levai avant de me diriger vers le comptoir derrière lequel, je le savais, traînaient quelques vieilles bouteilles de vin.
~ Ce n'est pas une bonne idée Elenna. Pense donc à ce qui germe à l'intérieur de toi. Mais c'est pourtant si difficile de résister à la tentation d'un si bon cru ... Il ne faudrait pas qu'il soit gâché. Mais as-tu seulement pensé à ce qu'il se passerait si jamais il venait à voir cela ? Je le sais ... Mais il n'est pas là. ~
Tel un automate, j'avais récupéré dans un vieux placard un de ces vieux vins qui étaient déjà là avant que nous ne nous installions au sein du Funérâriùm et qui me semblait, rien qu'au parfum qu'il dégageait, être une excellente boisson. Aussitôt dans le creux de la main, je m'empressai de retourner auprès de mon fauteuil dans lequel je me laissai tomber telle une masse. Ainsi je débouchai la bouteille vivement puis me hâtai de savourer le délicieux nectar qui y siégeait.
~ Peut-être que comme ça ... J'oublierai ... Qui sait ... ~
Les vapeurs du vin commençaient déjà à s'attaquer à mes synapses, brouillant totalement mes pensées qui virevoltaient depuis le début de la soirée. Il n'était alors plus l'heure des questions mais celle de la détente. Je fermai les yeux, me léchant le pourtour des lèvres, un petit sourire en coin.
~ Vilaine fille. Tu n'étais pas censée sombrer ainsi. Tu n'étais pas jusqu'alors insensée. Que t'arrive-t-il donc Elenna ? Il m'arrive qu'il me devient insupportable de rester spectatrice de tant de mensonges qui ne veulent être dévoilés alors qu'il est temps de passer aux aveux. Il m'arrive qu'être telle que je suis née commence à me débecter. Et si jamais je voulais changer, le pourrais-je ? ~
Il existe chez les humains une sorte de crise, une remise en question de sa propre existence durant l'adolescence. Ce qu'il se passait cette nuit là y ressemblait vaguement bien qu'il s'agissait d'un fait plus complexe qu'une simple crise pré-pubère. Pourquoi était-elle si tardive ? La réponse était aussi simple que je n'avais eu une adolescence comme les autres, enfouie dans ce cocon qu'avait tissé mon père afin de me protéger du monde extérieur.
La bouteille était désormais totalement vide, le vin qui y siégeait s'étant répandu dans mon organisme. Ma tête penchait à intervalle régulier sur le côté droit, ma main lâchant prise laissant libre cours au verre de se briser en éclat sur le sol glacé du Caveau.
~ Et il fait toc dans mon esprit ... Et il fait parfois tic aussi ... Tic-Toc ... ~
Les larmes me montèrent aux yeux, s'en allant s'échouer sur mes joues blanches, s'incrustant dans les pores comme neige au soleil. Ma bouche était ouverte, ma tête continuait son perpétuel mouvement tandis que je me laissai glisser sur le sol pour m'en aller broyer les bouts de verres qui persistaient à rester au pied de mon fauteuil.
~ Laisse la douleur amenuiser tes peines. Laisse le mal atténuer ton chagrin. Laisse le brouillard dissimuler les mensonges. Viens, viens. Suis mon chemin. ~
Je basculai la tête légèrement en arrière, puis observai à travers les sanglots qui brouillaient ma vue le plafond du Caveau. Un rictus se dessina alors sur mes lèvres, avant qu'un rire ne résonne dans la pièce.
« Et tout ça, c'est à cause de vous ... Si seulement je savais pourquoi. Mais vous désirez me faire patienter, très bien. Nous verrons ce que vous saurez dire à une pauvre folle dénuée de bon sens. Pourquoi m'avoir fait ça à moi, pourquoi m'avoir menti ? Cela vous a-t-il amusé de faire de moi votre pantin ? Celle qui ne sait rien ... L'ignorante ... »
~ Tic-Toc fait l'horloge dans ma tête ... ~