[font=Vivaldi]Journal des Songes.[/font]



Jour 26, au petit matin :

Cette nuit, j'ai fait un rêve.
Un rêve troublant, qui me tourmente encore.
Pour me libérer, je le grave de ma plume sur ce papier assoiffé d'encre.
Je pense que j'y en inscrirai d'autres car mes songes sont étranges depuis que je suis sur ces terres...





Il se fait tard, la lune est déjà haute dans le ciel et ma dulcinée a du retard. Je me tiens adossé contre un mur décrépi et le vent rosit mes joues. Les rues sont désertes, seule la bise glaciale semble hanter les lieux. Je rajuste mon capuchon et des bruits de pas mettent aux aguets mes sens.

...

Serait-ce toi ? Enfin tu viens combler ma solitude...
...

Les pas se rapprochent, ils confortent mes pensées et me réjouissent. Je la vois enfin apparaître au coin de la ruelle, sa silhouette mise sous les feux du clair de lune. Elle porte une robe de soie longue et sombre qui contraste avec sa peau d'ivoire. Une démarche gracieuse qui lui va si bien, la sensualité incarnée dans ce corps parfait. La douce demoiselle passe devant moi sans même me regarder.


Tu es sublime... Et joueuse semble-t-il, ce soir...


Je me sépare de ce mur et lui emboite le pas, suivant les effluves de Rose et de Pensée que la belle sème sur son chemin. Son pas est hâtif, sa respiration le devient aussi. Le claquement sec de ses souliers sur le pavé rythme la musique de notre balade. Enfin elle se retrouve à ma portée, je peux apercevoir son grain de peau, ses veines qui tressaillent sous le sang affluant.


Pourquoi me fuis-tu ? Ne te souviens-tu point de moi ?


Je saisis son poignet et met fin à cette flânerie nocturne. Elle se fige et je ressens sous mes doigts le soubresaut de son cœur, un battement empreint de peur. Elle n'a pour mot que sa respiration haletante et d'inaudibles sanglots. Elle reste là, à fixer l'étroit chemin qui s'offre à sa vision. La vie semble bien loin de l'endroit où nous sommes. Intrigué, je la libère de l'étreinte de ma main. Elle ose enfin un mouvement et se retourne, offrant à ma vue son visage blême.


Je ne comprends pas... Pourquoi ces larmes ? Suis-je si horrible à regarder ?


Son visage est beau, ses traits harmonieux, une merveille sculptée dans la chair par le plus rêveur des anges. Mon regard plonge au plus profond de ses perles ténébreuses. Je tente en vain de lire en elle. La seule marque d'émotion sont ces diamants aqueux qui ornent ses yeux de jais. J'aimerai au moins entendre sa voix, boire ses mots et dévorer ses paroles mais il n'en est rien, juste des murmures mort-nés.


As-tu oublié nos tendres moments ? Nos nuits endiablées ? Suis-je vraiment un inconnu à tes yeux ?


Le silence se brise lorsque le soulier noir racle un pavé mal dégrossi. Ce pas en arrière m'attriste. Elle n'a dit mot et pourtant... Elle vient de répondre à toutes mes questions par ce pas maladroit. Je lui fais peur en cet instant. J'ai beau fouiller mes souvenirs de nos précédentes rencontres mais aucune parole, aucun geste déplacé ne me revient.


Suis-je vraiment en tort ? Qui a osé te blesser ?



Un sanglot échappe à sa gorge nouée puis ses mains essuient les larmes envahissantes. Elle sombre sous les pleurs. Je fais ce pas qui nous sépare et l'aide à sécher ses larmes trop nombreuses pour une si petite personne. Ma douce ne refuse pas le contact de ma main mais semble la mettre mal à l'aise... J'espérais que cela la réconforte et apaise son chagrin. Je souhaite tellement que les mots prennent place aux pleurs...


Éclaire-moi... Je ne comprends pas ces larmes... Dis-moi...


Ma main effleure sa joue et glisse sur son épaule. D'un geste doux, je l'amène à moi et la love dans mes bras. Un cocon de chaleur pour assécher ses rivières de larmes. J'approche mes lèvres de son oreille et glisse en son creux les mots qu'elle aime. Ceux qui la font rougir, parfois frémir mais toujours des mots de plaisir. J'espère qu'ils feront partir ce chagrin qui serre son cœur et noue sa gorge...


Parle moi... Que s'est-il passé mon amour ?


Cloitrée dans le silence, elle enlace ma taille de ses bras frêles et pose sa tête contre mon torse. Enfin un geste d'affection, une preuve d'amour qui me soulage du poids des mille tourments que m'accablait son silence. Je l'enlace un peu plus, heureux de retrouver la chaleur de son corps qui me semblait si loin il y a encore quelques instants. Malgré cela, mon cœur reste pincé, mes questions sont toujours sans réponses...


Explique-moi maintenant Amour, tu es en sécurité ici... Il ne t'arrivera rien, je te le promets...


Perturbé, je m'imagine plusieurs histoires, mais aucune n'épouse ne serait-ce qu'un peu son comportement. Je l'imagine effrayée, esseulée, entourée d'hommes aux idées malintentionnées... La rage m'envahit au seul fait d'y penser. Pourtant, je suis convaincu qu'il s'agit d'autre chose. Je me rappelle ses gestes, sa démarche, son obsession à me repousser... Une question surgit des ténèbres de mon coeur, une seule question.

...

Qu'as-tu... fait ?

Pardon...
...

Non... non... S'il te plait, non. Un mot lancé tel un sort de lucidité. La clarté des évènements m'aveugle littéralement. Je ne veux y croire. Je sais maintenant. Mes mains remontent lentement vers son visage. Elles enveloppent son cou si fin, si fragile, et doucement se resserrent. Ses yeux me cherchent, sa voix trésaille. Je ne veux plus rien entendre d'elle.

...

Pourquoi as tu fait ça ?


Une question à laquelle je ne veux aucune réponse, et je n'en aurai pas. Lentement, je vois sa vie la quitter. Son visage arborant un masque bleu pâle, froid et ténébreux. Ses lèvres pourpres et ses yeux de sang mettent fin à mes doutes. Elle est partie. Mes mains la libèrent, enfin. Elle s'effondre. Mon dieu, que la mort est laide.




Je me suis réveillé à ce moment là. J'ai oublié de fermer la fenêtre de la chambre que je loue. Résultat : Un vacarme pas possible... L'aubergiste ne m'avait pas averti que les commerçants de la rue braillaient plus fort encore qu'une centaine de troubadours jouant faux. Bref, ce rêve me laisse perplexe. Je ne sais pas qui était cette femme... Et encore moins l'homme. J'espère que mes songes prochains apporteront quelques réponses. Voilà, mon encrier est vide et j'ai un aubergiste à enguirlan...