Cette histoire commence dans un monde totalement original. Un monde qui fonctionne sur un fonctionnement que l’on pourrait dire parallèle aux terres d’argent, si ce n’est que le temps s’écoulait selon un système différent. Nebullia. Ce monde qui fut jadis dévasté, ravagé par les pires maladies et les pires guerres. Et qui se présentait aujourd’hui sous la forme d’un paradis terrestre. Les prairies y étaient verdoyantes, les forêts luxuriantes. L’air y était pur, et l’on aimait y faire de longues promenades, se laissant aller au rythme de l’eau coulant dans les ruisseaux. Et dans ce monde, il n’y avait qu’une ville, qui portait le même nom que le monde, Nebullia. La place forte de la Legio Ombrae. Cette cité dépassait les lois physiques les plus folles. Des gerbes d’eau s’élevaient en l’air pour retomber quelques mètres plus loin, formant un portail d’eau. Des constructions toutes plus originales que les autres se succédait. Puis, on arrivait au centre de la ville. Donjeo.
Il n’y avait là point d’extravagance. Le palais des Gulr dominait l’ensemble, de plusieurs dizaines de mètres. Une construction toute de marbre blanc, représentant la pureté des Hommes qui savent. Pour le moment, ce palais était occupé par Elessar, le Censor, qui remplissait les fonctions exécutives en attendant le retour du dernier Gulr, Moach, lequel était entré dans un sommeil réparateur nécessaire à assurer son immortalité. Et le Censor, ce matin-là, était las. Certes, les choses apparaissaient pour le mieux : le nombre de disciples du Keya augmentait peu à peu. Mais quelque chose n’allait pas. Elessar lui-même n’aurait su expliquer la raison de ce sentiment de frustration, ce brouillard qui semblait s’installer au sein même de son âme.
Il secoua soudain la tête. Allons, lui, le Censor, n’allait pas se laisser abattre si facilement ! Quel sentiment, si irrésistible fût-il, pouvait le mettre à terre ? C’est ainsi qu’il se remotiva, et abandonnant là pour l’instant ses doutes, sorti dans la fraîcheur des rues de Nebullia. Jetant un œil alors à l’énorme double horloge qui était accrochée sur les murs mêmes du Palais des Gulr, il vit qu’en Eden, on commençait à peine la soirée. Et, bien sûr, il y aurait là gens de lettre, avec qui Elessar aimait s’entretenir. Ces derniers se faisaient de plus en plus rares, mais de nouveaux venaient prendre la relève des disparus.
C’est ainsi qu’il se téléporta à Biceps, dans cette ville où la débauche et le vice régnaient en maîtres. La ville était tombée sous le joug des guildes d’assassins. Ici, Métempsycoses, Hôstiles et nombre d’autres encore faisaient régner la loi du sang. Mais pour quiconque était bon connaisseur des lieux, il se trouvait, au milieu des combats sanglants et des batailles, un petit havre de paix, une simple taverne, où se donnaient maintenant rendez-vous les gens de lettre. Essayant alors de se mouvoir dans les rues sans susciter l’attention de guerriers ou mages qui ne seraient que trop désireux de pouvoir exhiber sa tête tranchée, Elessar se dirigea vers la taverne, laquelle éclairait faiblement la rue de par la lumière des torches brûlant à l’intérieur, et qui déversaient sur les pavés du dehors une lumière pâle à travers les carreaux crasseux des fenêtres.
Poussant la porte, Elessar entra dans la taverne. Il n’y avait, pour l’heure, qu’un couple bavardant paisiblement, au centre de la pièce. Saluant le tavernier, qui d’un air nonchalant observait la porte d’entrée, il alla s’installer comme à l’accoutumée : dans le coin droit de la salle, dans un fauteuil. Là, il allumait sa pipe, et, tirant à pleines bouffées, attendait que les choses passent.