Alkantar se tenait dans sa pièce personnelle à la Nécropole. Il réfléchissait. Cela faisait plusieurs jours qu’il avait pensé à tenter de créer à nouveau la vie par sa seule magie noire. Il l’avait en effet déjà fait une fois, longtemps auparavant. Il avait alors donné à sa progéniture toutes les qualités qui avaient de la valeur à ses yeux mais au fil du temps cette première héritière s’avéra n’être qu’un brouillon, un essai inachevé qui avait perdu peu à peu les traits qu’il lui avait imaginés. Une création qu’il avait, en y réfléchissant, quelque peu négligée quant à sa préparation. Peut-être était-ce également du à la difficile clarté de son esprit, ce qui en somme avait empêché la stabilité à long terme de sa première « fille ».

Mais ce soir-là il se sentait prêt. Sa décision était prise et ses idées semblaient bien fixes dans son esprit pour qu'aucune erreur ne soit possible. Il était temps pour lui d’engendrer sa véritable héritière, celle qu'il conserverait à ses côtés tout en gardant la tête haute pour montrer sa fierté. Il finit par fermer les yeux puis se laissa plonger dans les ténèbres.

Le rouge sang des murs de la Nécropole avait disparu. Il se trouvait alors dans un monde qu’il n’occupait pas souvent, là où le temps s’arrête et où l’espace ne connait de règles. Un monde parallèle au nôtre, crée pour y stocker les âmes des victimes du démon.

Il commença à se concentrer. Autour de lui, ce néant était en perpétuel mouvement car bien des âmes, plus récentes surtout, étaient encore « actives » et se battaient entre-elles ou bien tentaient désespérément de briser la limite entre ce plan et le vrai monde. Les autres âmes, plus anciennes, remontaient à plusieurs centaines d’années avaient appris par le temps qu’aucun moyen n’existait pour sortir de ce lieu sans l’autorisation d’Alkantar et, par conséquent, elles s’étaient bien vite lassées de leurs combats.

Après quelques minutes de concentration, il ouvrit les yeux et invoqua une forme de magie noire fort ancienne, inconnue de tout être encore vivant ou presque. Ces arcanes avaient pour but de fragmenter les âmes, les vider de volonté propre ou, pour résumer tout ceci, de les achever, ces âmes qu’il avait privé de corps pendant longtemps. Il consentait maintenant à les tuer complètement, pensant les avoir fait souffrir assez longtemps. Une fois toutes les âmes de ce monde réduites en petites étincelles, il détruisit la quasi-totalité de ces dernières pour n’en garder qu’une infime partie, mais formée des plus puissantes et intéressantes parties des âmes qu’il avait gardées. Avec d’autres arcanes, il concentra ce flot de fragments spirituels en un point pour faire apparaitre une nouvelle âme, bien plus noble et puissante que toutes celles qu’il avait détruites pour la créer. A ses yeux, cette âme était en tous points parfaite, issue d’une sorte d'eugénisme spirituel.

Il lui avait donné force, intelligence, sagesse et bien d’autres qualités encore pour qu'elle ait, malgré tout, un air de ressemblance avec lui.

Il avait à présent cette âme en main, si petite et pourtant si puissante...Cependant, il devait lui trouver un corps, car elle ne pouvait espérer survivre hors de ce monde sans une enveloppe charnelle. Et comme ce plan lui obéissait, la simple pensée d’avoir besoin d’un corps vide et modulable en fit apparaitre un. C’était en réalité un amas de filaments ténébreux qui s’étaient rassemblés mais une fois que le démon eut fait fusionner cet agrégat maléfique avec l’âme de sa fille, celui-ci se modifia pour prendre progressivement apparence humaine, allure définie par l’âme mais aussi par la volonté de l’esprit d’Alkantar, qui modifia légèrement certains traits, voulant offrir à son héritière une apparence plus que séduisante.

Il attrapa avec délicatesse ce corps de femme qui était celui de sa fille, la tenant comme un père aurait pu tenir son propre bébé. Elle était belle ... Une beauté froide, séduisante mais inspirant malgré tout une once d’inquiétude. Non il était loin d'être déçu.

D’une voix lugubre qui se perdit dans le vide, il prononça les premiers mots qu'il n'avait prononcés depuis le début, un regard tendre dirigé vers sa Création.

Ouvre les yeux ma fille, regarde moi et mémorise mon visage … pour que plus tard tu puisses me reconnaître et me retrouver.

Une fois ces termes émis, elle ouvrit les yeux et le regarda pendant un court instant pour sombrer à nouveau dans cette léthargie.

Alkantar avait créé son monde entre deux autres espaces définis : le monde que nous connaissons tous, foulé essentiellement par les Hommes, et celui des Ombres, lieu de retranchement de la Legio Ombrae … Il passa à nouveau d’un plan à l’autre pour arriver dans une plaine sombre et silencieuse de ce monde des Ombres, non loin de Nebullia. Marchant un peu plus, se dirigeant alors vers le Keytek, forêt où il était certain qu'il n'arriverait rien à sa progéniture, il finit par déposer celle-ci sur le sol humide des bois avant de lui déposer un baiser sur le front.

Je suis désolé, mais tu dois grandir comme une mortelle pour le moment.

Il savait qu’elle était loin d’être mortelle, mais elle n’en savait rien et il ne voulait qu'elle le sache jusqu'au moment venu. Il disparut alors de ce monde, après s'être relevé légèrement de sa position accroupie, et se retrouva à nouveau dans sa chambre glauque avec la nette impression d’avoir réussi.