Chapitre 1: La joie de vivre
Son front ruisselle de sang alors qu’une deuxième bouteille d’hydromel vient de s’écraser sur le sol sous le coup du moine. La douleur est intense, insupportable, mais il ne peut l’exprimer tant le bâillon est serré. Des larmes se mélangent au liquide rougeâtre dévalant sur ses joues et s’écoulent sur sa gorge encerclée d’un anneau de fer. Aucun mouvement ne lui est permis. Ses mains et ses pieds sont entourés de morceaux de corde et l’obligent à rester immobile sur le vulgaire plateau en bois le présentant. Il à du mal à respirer, se sent pris de vertige et sait qu’il va mourir dans d’atroces souffrances. Il aurait préféré ne jamais se réveiller sous le coup de massue du garde dans la cour, mais les dieux en ont décidé autrement.
Je t’ai posé une question! répéta l’homme vêtu comme un bourreau et ne laissant percevoir que ses deux prunelles brunâtres.
Quel est ton petit nom? Je sais que tu es bâillonné, mais tout de même, fais un effort !
Des rires éclatent à nouveau dans la salle. Ils proviennent des deux comparses de l’être habillé en noir qui ne manquent pas une occasion de se divertir. Le premier n’est autre que le moine le plus dodu du Royaume, le frère Eran. La main déposée sur sa bedaine remplie de bière, c’est celui qui prend le plus de plaisir à la scène. D’ailleurs, il ne peut plus rester en place tant il trouve son compagnon drôle, et menace dangereusement la petit table en bois de s’écrouler en frappant son poing gras à côté de quelques chopines déjà renversées.
Quant au second, il s’agit du poète Arlequin. A l’aide de sa cithare, il ne manque jamais une occasion de laisser place à son imagination dans des chansons racontant la misère du peuple. Son surnom assez fantaisiste lui a été donné en raison de ses vêtements toujours très colorés et révélant un gout indiscutable pour le ridicule. Prenant autant de plaisir que le moine, il sautille comme une petite fille tout en applaudissant l’humour du bourreau.
Vu que tu ne souhaites pas répondre à mes questions, j’en déduis que tu ne souhaites pas coopérer…Dommage ! dit l’exécuteur en attrapant soudainement les joues du voleur tout en étirant sa peau.
Le gras, passe moi la pince !
Aussitôt dit, le moine leva son gros bide dans un effort spectaculaire et se dirigea vers un petit meuble dans le coin de la pièce pour ensuite ramener l’objet au tortionnaire qui avait pris le temps d’enlever le bâillon du voleur. Celui-ci, trop affaibli, laissait échapper un filet de respiration presque inaudible et fermait les yeux tant les gardés éveillés lui semblait trop épuisants. Mais il savait surtout quel châtiment l’attendait à présent, non le pire mais guère le plus alléchant, l’enlèvement des dents. La bouche étirée par les longs doigts fins et gantés du bourreau, il tente de se concentrer sur les bons moments qu’il a vécu autrefois, mais en vain, aucun souvenir joyeux ne lui vient à l’esprit. Il n’a jamais connu un seul instant de bonheur au Royaume de Vézar.
La première dent est enlevée et l’envie de crier le démange. Il voudrait laisser ses jambes et ses bras s’évader pour alléger le mal qui se repend dans chaque recoin de son corps, mais il ne peut et doit rester immobile tout en attendant la fin de son sort. Après de longues minutes à endurer chaque claquement de la pince, un doigt frotte ses gencives dénudées de toutes dents. Selon l’Arlequin, le travail est impeccable et le spectacle est digne d’être conté dans une chanson pour enfants, or, le bourreau ne semble pas satisfait. Un détail de la plus haute importance doit être réglé. Le clocher retentit, il sonne les douze heures du midi et ils n’ont plus le temps de décider quelle torture ils vont attribuer à leur victime. Le bourreau attrape la hache qui a servi à trancher la tête de la poule et la plante dans le cou du pauvre voleur qui meurt. Détail réglé.