Cette nuit-là, Maskiro avait du mal à fermer l'œil. Après trois jours et deux nuits de siège, les troupes étaient fatiguées et la plupart dormaient à poing fermé. Il y avait bien eu quelques visiteurs venus les troubler dans leur mission mais jamais de quoi les faire réellement douter : quelques blessés légers tout du moins. Ainsi la vigilance s'était relâchée mais un mauvais pressentiment prenait forme peu à peu dans l'esprit de l'empereur.
Maskiro entreprit de patrouiller autour de la bâtisse : ainsi il espérait se rassurer de savoir que personne ne manquait à l'appel et peut-être engager la conversation au détour d'une rencontre. Il se rendit d'abord dans un coin reculé entouré de buissons et mal éclairé à l'arrière de la taverne. Personne.
Au loin quelque chose de brillant attira néanmoins son regard. Une épée était plantée au sol, éclairée par la pleine lune. Cette lame avait quelque chose de morbide. « Un corps ! » : il ne put s’empêcher de penser à voix haute. C’était celui d’Elan. Une épée, fichée à ses côtés. Maskiro pressa le pas en direction de la jeune femme, il devait en avoir le cœur net !
Alors qu'il tourna le coin, un être se tenait droit devant lui. Il ne l'avait jamais rencontré mais son apparence était des plus notoire : une grande silhouette noire et deux yeux rouges, intenses tel la braise. Derrière lui, un homme et une femme se tenaient droits eux aussi, visiblement prêt à tout pour celui qui se mettait en avant.
L'empereur n'eut pas le temps de leur demander qui ils étaient ni même la raison de leur présence que l'homme aux yeux rouge s'adressa à lui :
« Maskiro.
Je viens ici vous parler d’un problème qui m’est cher. Voyez-vous, je hais Yjan. Sa bonté est son pire défaut : derrière l’homme au regard d’ange se terre l’éternel idiot ne vivant que de rêves. Celui-ci croit que la paix peut exister, et vous, pauvre fou, continuez de le suivre dans ses délires puérils.
En ces termes, moi, Moach Gulr, chef de la Legio Ombrae, je vous déclare la guerre. Là où vous vous promettez de détruire un bâtiment, nous détruirons toutes vos armes de sièges, ainsi que vos troupes. Là où vous protégerez la veuve et l’orphelin, nous égorgerons vos femmes et fils devant vos yeux. Là où vous promettrez la paix, nous apporterons le chaos et la désolation.
Vous vous êtes engagés, à travers vos actions infantiles, à vouloir détruire ceux qui ont mis fin au règne de la Bellaliance. Nous nous engageons, à travers nos actions professionnelles, à mettre un terme à votre règne.
Vous croyez les armées maléfiques tombées parce qu’Aethen n’est plus, vous vous méprenez. Nous allons vous montrer ce qu’est l’horreur…
Tenez-vous prêts. »
Maskiro toisa Moach Gulr et ses deux acolytes, un léger rictus presque imperceptible se dessina sur ses lèvres :
« Je suis honoré que vous connaissiez mon nom. En revanche, je ne vous connais pas… D’après votre discours nous serons amenés à nous rencontrer, mais il est vrai que je n’ai aucun souvenir de vous avoir déjà croisé sur un champ de bataille.
Moach Gulr c’est bien ça ? Vous semblez bien sûr de vous. Vous affirmez certaines choses mais que savez-vous réellement ?
Vous dites que nous suivons Yjan, c’est faux. Il est vrai que nous aspirons au même idéal de paix et que par conséquent nous nous sommes souvent retrouvés à batailler conjointement mais en aucun cas Yjan ne sublimera notre liberté et notre indépendance : il n’est pas notre roi.
Si j’ai bien suivi votre raisonnement vous nous déclarez donc la guerre car nous suivons Yjan ? Comme je vous l’ai dit, nous suivons notre propre voie et la démolition de cette taverne est entièrement de notre initiative car elle représente pour nous un symbole de l’entrave à la liberté.
Par conséquent, votre raisonnement serait donc, si je ne m’abuse, infondé et je me vois donc quelque peu surprit par votre déclaration de guerre qui s'appuie sur ces derniers.
Je vous propose donc la chose suivante : vous qui dites haïr Yjan, pourquoi ne vous en prenez vous pas directement à lui ? Je suis sûr qu’après sa victoire sur Aethen il doit s’ennuyer sec ! Déclarez-lui donc la guerre à lui puisque vous le haïssez tant !
J'aimerai ajouter que nous sommes bien évidemment conscients que le mal n’est pas tombé juste parce qu’Aethen, lui, l’est : des assassinats et des massacres, il y en a toujours eu et il y en aura toujours, la preuve…
Mais vous l’aurez compris : je reste sceptique et j’ai du mal à vous prendre au sérieux quand à votre déclaration puisque, en effet, vous semblez tout droit sortis du néant et hormis votre attaque sur une personne sans défense, je n’ai jamais pu constater votre réelle puissance quand à amener « le chaos et la désolation » comme vous dites.
Voyez-vous, abattre lâchement quelqu’un pendant son sommeil c’est une chose mais faire face à une armée entraînée c’en est une autre. Vous souhaitez nous déclarer la guerre ? Alors agissez avec honneur et venez nous affronter sur le terrain. Sinon, retirez-vous maintenant.
Néanmoins si vous persistez à vouloir nous attaquer, nous vous attendrons de pied ferme sur le champ de bataille où jusqu’ici nous ne vous avons jamais vu. En espérant que vous viendrez entraînés, prêts à affronter des guerriers et des mages aguerris… Faites votre choix, vous savez où nous trouver.
Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai une blessée à soigner. »
Sur ces dires Maskiro continua son chemin en direction d’Elan, laissant derrière lui les trois personnes.