Celui qui Sait.

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Il y a 14 ans | Le 12 Aug 2009 15:53:23
Mon histoire est encore des moins connues aujourd'hui. Ainsi, si certains sont des amateurs, férus de littérature ombrale, il n'en demeure pas moins des flous sur ma vie antérieure aux évènements survenus récemment. La totalité de ma geste, l'épopée pour le moins épique de l'être qu'on nomme Moach Gulr reste pour le moment totalement inconnue, mais aujourd'hui il m'est donné de soulever une partie du voile qui s'était abattu sur ma vie, aussi compliquée et dure à suivre soit-elle.

La pluie tombait tel un rideau, m'obligeant à prononcer certaines formules de ma connaissance pour me permettre de traverser moultes marécages devenus infranchissables à cause du climat trop pluvieux de cette contrée. Au diable les recommandations sur l'usage jouissif de la magie du grand Eziak Gulr, je l’avait maintenant laissé bien loin derrière moi, et bien malin celui qui pourrait me retrouver dans ce dédale de forêts, de champs et de plaines.

La guerre faisait rage ici, on parlait d’un duel émérite entre un certain Hestius et un dénommé Groar le Barbare. Fuyant cet affrontement qui n’était pas mien, j’en suis arrivé à cette contrée de Boudok. Seulement, il commençait à se faire tard, et je n'osais espérer trouver en cette forêt un abri sous lequel m'abriter pour la nuit. Sortie de nulle part, une route pavée était là, étonnement entretenue en ces temps incertains... Remerciant ma chance, je m'empressais de la suivre.

Un bruit de sabots sur la route pavée me fit sortir de cette rêverie agréable. Un cavalier ? Dehors, à cette heure, et sous ce temps ? Mon premier reflexe fut de me cacher, naturellement. Il faut savoir que nous autres Gulr n’apprécions que peu, depuis le temps du Suprematio, entrer en contact avec des hommes. Nous avions eu la preuve de leur perfidie. Je souriais finalement à cette idée. N'étais-je pas un Gulr, immortelle créature, puit de sciences et de connaissances ? N’étais-je pas à même de tuer facilement un cavalier esseulé ?

Je ne m'écartais donc nullement de ma route, et continuais mon chemin d'un pas tranquille, paisible, du moins autant que le permettait le climat peu accueillant de la contrée. Le cavalier eut vite fait de me rattraper. Il chevauchait un destrier noir, n'était vêtu que de rouge, et son visage était caché par la capuche qu'il portait, se protégeant ainsi d'une manière efficace contre la pluie. Nulle arme à ses hanches, nul blason me permettant d'identifier la personne. M'apercevant, il stoppa, et de haut de son cheval, me toisa.


"Holà... Qui es-tu, maraudeur ? Ne sais-tu donc pas que cette province est maintenant territoire de Hestius ? Ne sais-tu pas que l'endroit est peu propice aux voyages et aux pèlerinages ?"

Le ton arrogant avec lequel il s'adressa à moi me permettait de savoir que l'interlocuteur que j'avais en face de moi n'était pas à prendre à la légère, et qu'il n'était guère sage pour l'instant de lutter verbalement contre lui, pas plus sage qu'il ne serait de lui donner ma propre identité. Je décidais donc de me faire passer pour un faible poète.

"Nulle envie de ma part de vous porter préjudice, seigneur chevalier. Voyez-vous, je ne cherche noise à personne, juste gîte et couvert pour la nuit. Quant à votre première question... Nommez-moi Manannan, poète de mon état, et conteur de sagas."
"Un conteur ? Eh bien, mon ami, voila qui me plait. Je me dirige vers un fort, où des hommes attendent impatiemment une distraction quelconque. Si par tes mots, tu réussis à les rassasier, tu auras ton abri pour la nuit... Mais si tu échoues, tu devras reprendre ta route, en tout bon pèlerin que tu restes.


Je n'eus guère d'autre choix que d'accepter l'offre de l'inconnu. Après tout, j'étais confiant dans mes talents oraux. J'avais déjà démontré, au conseil des Gulr, que je pouvais captiver n'importe quel homme civilisé. Cependant... ce n'était pas le même type d'homme que j'allais devoir divertir. Enfin. C'est ainsi que nous reprîmes la route, parlant ensemble de sciences, de philosophie et d'autres facettes de la vie qu'il serait inutile de conter ici. Cet homme -dont j'ignorais toujours l'identité- m'étonnait de plus en plus. J’étais à mille lieues des frontières de son intelligence qui semblait démentiel. Je m’amusais donc avec, et ensemble nous faisions jouer nos langues dans un débat qui se trouvait fort animé.

Nous finîmes par arriver en vue du "fort". Avec ses grands remparts sombres, ses donjons élancés vers les cieux et les éclats des armures cramoisies des nombreuses sentinelles, c'était davantage une citadelle imprenable qu'un vulgaire fort. Ce fut le drapeau qui m'intriguait le plus : une clé d’or, sur un fond blanc. Je me souvenais avoir déjà vu ce drapeau quelque part, mais hélas, il m'était impossible de me souvenir de ce moment. Fouillant en vain dans ma mémoire, je ne manquais pas de remarquer une dizaine d’hommes en armure autour de nous, se glissant silencieusement, en couverture. Lorsque nous arrivâmes devant la herse de fer, un garde s'approcha, et lorsqu’il reconnut le cavalier, cria :


"Soulevez la herse ! Le Haut Dignitaire est de retour !"

A ce moment, la lumière vint à mon esprit. Il n'existait qu'un ordre sur ces terres qui offrait à son chef le statut de Haut dignitaire : L’armée du Très Saint Conclave, menée par Hestius et Jareth. Je me souvins alors du drapeau, et je me rappelais l'avoir étudié... La clé d’or, symbole de la dévotion de l’ordre à leur déesse Suciva, et le blanc, couleur d’Hestius, symbolisant sa pureté et sa bienveillance. Ainsi, mon interlocuteur était ce Hestius, dont on racontait tant d'exploits. Je me retournais vers ce dernier, et vit qu'il souriait.

"Les choses ne sont pas toujours ce qu'elles ont l'air d'être, Manannan. Avant que tu ne commence à essayer de te faire entendre de mes chevaliers, je souhaiterais t'avouer quelque chose. Suis-moi."

Laissant à un palefrenier le soin de s'occuper de sa monture, Hestius m'emmena dans un dédale de couloirs et de chambres, de salons et de salles. Je remarquais au passage le nombre imposant de statues de marbre, et de tapisseries. Hestius avait absolument tout du grand Seigneur. Arrivé devant de lourdes et imposantes portes, il ôta sa capuche, révélant ainsi un visage beau et noble.

"Manannan. Nos chemins ne se sont pas croisés par hasard, un homme de mon envergure, et un autre de la tienne n'ont aucune peine à le deviner. Je sais que tu ne te nommes pas Manannan, mais Moach Gulr. Tu es l'assassin du vieux Leonidas, ami de Groar le Barbare, mon ennemi. Ici, tu deviens mon ami. Je connais tout de toi. Tu es un de ceux que les anciens textes présentent comme les Gulr, ces êtres mélodieux et puissants qui pratiquent le culte du Keya.

Disant cela, il ouvra les lourdes portes... et me fit peur. Je m'attendais à me produire devant quelques hommes tout au plus... Plusieurs centaines de guerriers étaient assis là, attendant, riant, criant. Alors que Hestius allait s'asseoir au fond de la salle, je montais sur une table, et commençais à tisser ma toile vocale.


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Il y a 14 ans | Le 12 Aug 2009 15:53:51
"Lorsqu'un héros meurt, les dieux lui offrent un présent. Mais ce présent est à double tranchant. Toi ! Tonnais-je, pointant du doigt un homme corpulent vêtu d'un pourpoint en peau de loup. Connais-tu ce présent ? Oui toi, le porc en habits de loup !"

Le visage de l'homme vira au rouge, et sa main descendit vers sa dague passée à sa ceinture. Je me tournais et désignais un autre homme.

"Et toi ? Sais-tu ce qu'est ce présent ? Eh bien je vais te le dire. Lorsqu'un héros meurt, son âme vagabonde, invoquée ça et là par les conteurs de sagas et les poètes. Lorsqu'ils parlent de lui devant une foule -y compris devant une meute de barbares comme ici- son âme apparaît. C'est de la magie, qu'aucun sorcier ne peut créer. Mais pourquoi est-elle à double tranchant ? Parce que ce héros va se tenir au milieu de vous et voir que vous n'avez cure de ses exploits. Ils n'ont pas plus d'importance que des ombres à vos yeux. Près de ce feu se tient Petric, le plus grand des guerriers, le plus noble des hommes. Il a combattu pour le bien, lutté pour quelque chose de plus important que la gloire. Et que voit-il lorsqu'il observe autour de lui ? Ricanements et fainéants, fuyards et débauchés. Un tel homme mérite mieux."

Je m'interrompais, et vit que la salle était silencieuse. Tous, ils étaient suspendus à mes lèvres. Lorsque je repris, c'était d'une voix plus calme.

"C'est à l'orée d'une ère différente, commentais-je, que Petric sortit de la forêt. Il était grand..."

Je leur racontais la légende, et jusqu'à la fin je narrais la vaillance de Petric, et la traîtrise qui le fit tuer dans le Défilé des Âmes. Cependant, j'allais plus loin, leur narrant comment l'âme guerrière de Petric s'éleva de sa dépouille mortelle et poursuivit ses batailles dans un ciel fantomatique, son épée transformée en rayon de lune, ses yeux en étoiles étincelantes. Quand je me tus, ce fut un tonnerre d'applaudissements qui m'indiquait que j'avais rempli ma mission. Voulant rejoindre Hestius, je fus interrompu par un garde qui accourait en criant que l'ennemi attaquait. En un seul geste, tous se retournèrent vers Hestius. Celui-ci, d'une voix solennelle, prit la parole.

"Mes Frères. Aujourd'hui, Moach Gulr nous a conté l'histoire d'un héros. Je vous demanderai d'imiter ce héros, pour votre maître, et d'aller combattre l'ennemi. Ne reculons pas devant cette armée sournoise. Ne reculons pas devant ce chien galeux. Un jour, le Conclave animé par la volonté de Suciva vaincra. Peut-être que ce jour est venu !"

Dans un terrible rugissement, tous les hommes présents se mirent d'accord, et allèrent prendre leurs postes pour défendre le dernier bastion de l'apocalypse. Hestius s'approcha de moi.

"Mon ami, tu as bien raconté. Je ne puis malheureusement te donner le gîte, l'ennemi étant à mes portes. Je n'ai pas non plus le temps de tisser comme toi une toile qui me permettrait de t’obliger à accepter. Je te demanderais de m’aider. En cette bataille, soyons frères. Je ne pourrais pas vaincre sans toi : tu es mon dernier espoir. »

« Si tu connais les Gulr, tu dois savoir qu’en rien ils ne servent l’homme. Mais tu sers une autre cause, celle d’une entité, Suciva, c’est pourquoi j’accepte de mettre ma magie à ton service. En ce moment, mille hommes sont aux portes de la Citadelle. Leur chef est Archimède, l’ami de Groar. »


Hestius me fixait, surpris. Je le rassurais alors en disant qu’il n’était pas au bout de ses surprises, et que mon pouvoir pouvait se révéler bien plus utile que ça. Acquiesçant, il se mit à courir pour rejoindre les portes, et je le suivis. A notre arrivée, les portes avaient déjà cédées. Les hommes se battaient entre eux dans un vacarme de métal, tandis qu’au dessus de nous passaient des roches enflammées à l’aide d’un sorti lège, qui allaient s’écraser contre les murs des tours de la citadelle. Dans un hurlement, nous nous jetions tous deux dans la bataille. Si je préférais la magie, j’adorais toutefois l’épée, frappant de grands coups autour de moi. Les hommes s’écroulaient, et notre sillage était de chair inerte et de sang coulant.

C’est alors qu’Hestius se retrouva face à Archimède. Celui-ci projetait tout autour de lui des cônes de froid et des boules de feu, formant un périmètre magique infranchissable par l’homme autour du mage. Hestius ne réfléchit pas : il lança, sauvagement, son épée maudite à travers les sortilèges d’Archimède. Dans un craquement sec, la lame vint se figer dans le corps du magicien. Ce dernier tomba à terre. Il ne devait plus se relever. Une fois que leur chef vint à être tué, les autres hommes furent facilement mis en déroute. On en tua certains, on en tortura d’autres, qu’on laissa partir, le corps mutilé. Alors qu’il mangeait, je rendis visite à Hestius. Je lui expliquais que je pouvais rester ici davantage. Mon corps devait aller se reposer, un lit ne suffisant pas à un Gulr. Le visage triste, il prit congé de moi. Le cœur plus serein, je repris mon voyage à travers les terres d’argents. Je ne devais plus revoir Hestius. Même si Jareth tua Groar le Barbare, Hestius fut abattu lors de l’assaut final par un jeune soldat. Cette chose, je l’appris bien plus tard. Mais il est inutile de relater ici la tristesse qui fut la mienne à cette nouvelle.


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Il y a 14 ans | Le 16 Aug 2009 01:56:45
Après ma rencontre avec Hestius, puis mon départ, j’étais parti reposer mon corps très loin dans les montagnes de Glace de Dusso. J’y avais connaissance d’un sanctuaire sous la glace, construit par ma race pour les résidents de l’Eden. Après m’y être rendu, je désactivais tous les sorts de protection. Je fus admiratif devant la magie que le conseil des Gulr avait été capable d’accomplir, au temps de son apogée. Puis je m’allongeais, et fermait les yeux. Je ne m’endormais pas, mon esprit n’était pas capable de dormir. Alors, tandis que mon corps était endormi, je sortais de celui-ci. Ce faisant, j’étais devenu une ombre subtile, presqu’invisible. Seul le flou apparent à mon endroit pouvait révéler ma présence. L’esprit voyage infiniment plus vite que la matière.

Comme à chaque fois que je pratiquais cet art magique et maléfique qu’on nommait Corpeus, je cherchais une seule et même chose. Depuis la clôture de tous les portails entre l’Eden et le Nebullia, et mon enfermement involontaire dans ce monde – ce qui, soit dit en passant, ne me déplaît guère : en étant allé en Nebullia je serais déjà mort – je cherchais activement toutes les rumeurs concernant un être isolé, vêtu d’une longue soutane noire, et dont seuls les yeux brillaient, tels deux faisceaux magiques. En fait, je cherchais l’un de mes congénères. Je savais que nous étions nombreux à être en Eden au moment de la fermeture des portails. Mais, depuis, Alek et ses descendants avaient eu un malin plaisir à chasser puis exterminer chacun des nôtres. Avant mon aventure avec Hestius, j’avais dû me battre avec une vingtaine d’hommes d’armes venus m’arrêter.

Je laissais ainsi mon esprit vagabonder au rythme des collines, forêts et villages. J’essayais d’entendre le maximum, cherchant avec espoir la nouvelle que j’attends depuis si longtemps. Le temps passa, encore et toujours… Il fallait que je sorte de cet état que je reprenne possession de mon corps au plus vite. Je devinais que l’un des sortilèges de protection avait été détruit. C’est comme si ce sortilège faisait partie de moi. Le fait que l’on détruise encore un morceau de l’héritage grandiose laissé par ma race me mit hors de moi. C’est alors que, fou de rage, retraversant les océans vers Dusso, je ressentis un profond soulagement… Comme si j’avais enfin trouvé ce que je cherchais. Je m’arrêtais donc, et écoutais. Ou plutôt, je devinais, voyais.

[color=darkblue]Un jeune homme est couché, face contre terre. Devant lui, une silhouette sombre, encapuchonnée. Ses yeux ne brillent presque plus, mais on parvient encore à distinguer le faible éclat bleu qui s’en dégage. Ils sont sur une montagne, dans le continent que je viens de quitter. Apparemment, le Gulr m’a senti, lui aussi. Je sens en lui une profonde colère, bouleversée par le sentiment de ma découverte. Apparemment, il voulait tuer l’homme couché devant lui, et s’était arrêté en plein milieu de son incantation. La vue se trouble.


Je n’avais pas d’autres choix que de reprendre ma route. Déjà, j’ai senti qu’un deuxième sortilège de protection avait lâché. Il n’en restait plus qu’un… Et je sentais que les magiciens étaient déjà en train de le briser. Il fallait faire vite.

Entrée du Sanctuaire. Alek l’ancien l’avait bien prédit. Il restait encore quelques uns de cette funeste espèce qui avait un jour étendu un règne dictatorial sur ces terres. Cette époque remontait à si longtemps. Je suis un descendant, au dixième degré, d’Alek. J’ai été averti d’un homme encapuchonné qui se déplaçait avec grande prudence dans un lieu isolé. Et j’y avais été, accompagné de puissants guerriers et de grands mages. Nous avions déjà détruit deux des trois sortilèges de protection. Bientôt, nous rentrerions dans l’endroit, et si Gulr il y avait, nous l’exterminerions. Voila, le dernier sort a lâché ! Devant nous, un éboulement se produit, et une ouverture, un portail, apparaît devant nos yeux ébahis. Et dans ce portail, se dresse, menaçant, la forme sombre tant redoutée du Gulr.

Je contemplais, maudissant le Keya de les avoir conçus, ces êtres bipèdes, se croyant supérieurs à nous, pratiquant une vaste chasse aux sorcières avec nous dans le seul but d’être la seule espèce intelligente sur terre. Eux ne bougeaient plus. Avaient-ils peur ? Je ne le saurais jamais. Réunissant en moi toute la fureur dont j’étais capable, je créais autour de moi un bouclier artificiel. Puis, dans un hurlement de rage, je fis imploser entièrement la caverne, réduisant les humains qui avaient osé me déranger en une bouillie sous les tonnes de cubes de glaces incandescents qui tombait du haut de la montagne. Je ne m’attardais pas longtemps plus sur ce spectacle qui pourtant apaisait mon cœur : un Gulr m’attendait.