Je me réveillais, et sortais brusquement de mes rêves aussi réparateurs que courts. Les yeux encore ensommeillés, je me hâtais toutefois de sortir de ma couche, et d'enfiler armure, gantelets et bottes, et de mettre à mon fourreau ma redoutable lame. Quand je fus prêt, je sortais de ma tente. C'était la nuit. L'air été doux, sans vent, ce qui était somme toute normale pour un mois d'été sur la côté Nelokienne. Cette fameuse côte... Voici peu, mon état-major avait déclaré la guerre aux Nelokiens, prétextant le fait que ces derniers rassemblaient en grand secret une armée immense afin de marcher sur Silva, la capitale de mon pays, Innotia. Même si j'étais profondément nationaliste et anti-nelokien, je ne pouvais m'empêcher de rire en pensant que cette armée n'existait que dans les paroles du Général Houaken, mon chef, et qu'en fait, mon pays voulait conquérir Nelokia afin de disposer en paix de leur impressionnantes réserves d'or et d'argent.
Songeant à tout cela, j'en était arrivé au mur d'enceinte du camp que nous avions construit afin de constituer un quartier général efficace à l'intérieur même de Nelokia.. Ce n'était pas un petit fortin en bois, mais plutôt une cité naissante. On y trouvait commerce, religion, prostituées, tavernes, bref, tout ce qui fait la beauté ou la décadence d'une ville. Au centre s'élevait vers les cieux le Donjon, demeure du général Houaken en personne. quant au mur d'enceinte qui me faisait face à présent, il s'agissait plutôt d'un véritable rempart de granit de plusieurs dizaines de mètres de haut, solidement défendu : outre les gardes nombreux et attentifs, on trouvait aussi des meurtrières derrières lesquelles se cachaient arbalétriers et archers prêts à tirer, des cuves d'huiles, des balistes et des catapultes. La sécurité y était renforcée : lorsque j'arrivais, un jeune capitaine vint à ma rencontre.
"Je suis désolé, mais vous ne pouvez passer."
"Je suis le Baron Clarius, j'ai audience auprès du Général Houaken."
"Ah. Vous êtes en retard."
L'homme s'écarta et me laissa passer. Je pénétrais dans une zone strictement privée. On y entassait des armes de toutes sortes, mais surtout, en cet endroit se réunissait le Grand Conseil Innotien, qui jugeait des affaires de cette guerre. Cependant, en cette soirée, c’était en tête à tête que le général voulait me parler. Je l’avais toujours porté dans mon cœur : c’était un homme droit, juste, et surtout qui respectait ses hommes, qui ne les enverrais jamais à l’abattoir. C’est donc avec un grand plaisir non feint que je le retrouvais dans ses appartements. Ce devait être le seul lieu empreint de noblesse du camp : ici, pas de couche faite de paille et posée à même le sol, plutôt un grand lit sculpté dans un bois raffiné, pas de table faite de caisses et tonneaux, mais une table volée au Nélokiens lors d’une grande et glorieuse bataille. Tout ici représentait la classe, la richesse, la noblesse et l’aisance.
Houaken, un sourire, m’accueillait en ces mots :
« Clarius, vous êtes en retard. Asseyez-vous. »
Je m’asseyais sur l’un des riches fauteuils pourpres qui garnissait le Bureau du Conseil.
« Le Grand Conseil a décidé que le coup fatal à Nélokia serait porté ces jours. Une attaque massive sera lancée sur leur capitale. Mais nous avons besoin d’hommes à l’intérieur des murs, afin de nous assurer que les portes puissent être friables à notre arrivée. C’est une mission très importante, mais aussi très difficile. Nos mathématiciens – Puisse la Science être bénie – ont évalué que des hommes qui seraient à l’intérieur, pas un n’aurait la chance de revenir. »
Je commence à comprendre, non sans un certain malaise, pourquoi je suis ici.
« J’ai essayé de les convaincre que vous seriez plus utile ici. Mais ils n’ont rien voulu savoir. Le Grand Conseil vous ordonne d’infiltrer la ville. Je suis désolé. »
« J’accomplirais cette tâche, Général. Que mon sang puisse être d’une grande aide au Grand Conseil. »
Je me levais. Houaken, après avoir utilisé le salut protocolaire, se rapprocha de moi, pour me prendre dans ses bras. Il me chuchota un minuscule encouragement, et prit congé. Je décidais quant à moi de rejoindre ma tente. Arrivé là-bas, j’entendais les rires et les chansons de mes hommes, qui selon toute probabilité étaient ivres. Avec le cœur serré, je rentrais dans ma tente. La tête entre les mains, je réfléchissais, de longues heures. Au petit matin, alors que le camp était calme, que tous dormaient, je me levais, enfilais une grande soutane pourpre, et ne prenait pour arme qu’une dague. Jetant un regard autour de moi, afin de voir si je n’avais rien oublié, mes yeux se posèrent sur une lourde croix d’argent. Elle symbolisait mon respect envers les Dieux, que durant toute ma vie je m’étais juré d’honorer. Je la mettais, au moyen d’une chaîne d’argent aussi, autour de mon coup, et, enfin, me sentais prêt. Allant-au-delà de mon destin, je sortais de ma tente, dans la fraîcheur de l’aube, et me dirigeait vers l’avenir.