L'épopée d'un Lord.

Lord Clarius
Legio Ombrae


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Il y a 14 ans | Le 05 May 2009 21:37:54
Je me réveillais, et sortais brusquement de mes rêves aussi réparateurs que courts. Les yeux encore ensommeillés, je me hâtais toutefois de sortir de ma couche, et d'enfiler armure, gantelets et bottes, et de mettre à mon fourreau ma redoutable lame. Quand je fus prêt, je sortais de ma tente. C'était la nuit. L'air été doux, sans vent, ce qui était somme toute normale pour un mois d'été sur la côté Nelokienne. Cette fameuse côte... Voici peu, mon état-major avait déclaré la guerre aux Nelokiens, prétextant le fait que ces derniers rassemblaient en grand secret une armée immense afin de marcher sur Silva, la capitale de mon pays, Innotia. Même si j'étais profondément nationaliste et anti-nelokien, je ne pouvais m'empêcher de rire en pensant que cette armée n'existait que dans les paroles du Général Houaken, mon chef, et qu'en fait, mon pays voulait conquérir Nelokia afin de disposer en paix de leur impressionnantes réserves d'or et d'argent.

Songeant à tout cela, j'en était arrivé au mur d'enceinte du camp que nous avions construit afin de constituer un quartier général efficace à l'intérieur même de Nelokia.. Ce n'était pas un petit fortin en bois, mais plutôt une cité naissante. On y trouvait commerce, religion, prostituées, tavernes, bref, tout ce qui fait la beauté ou la décadence d'une ville. Au centre s'élevait vers les cieux le Donjon, demeure du général Houaken en personne. quant au mur d'enceinte qui me faisait face à présent, il s'agissait plutôt d'un véritable rempart de granit de plusieurs dizaines de mètres de haut, solidement défendu : outre les gardes nombreux et attentifs, on trouvait aussi des meurtrières derrières lesquelles se cachaient arbalétriers et archers prêts à tirer, des cuves d'huiles, des balistes et des catapultes. La sécurité y était renforcée : lorsque j'arrivais, un jeune capitaine vint à ma rencontre.

"Je suis désolé, mais vous ne pouvez passer."
"Je suis le Baron Clarius, j'ai audience auprès du Général Houaken."
"Ah. Vous êtes en retard."


L'homme s'écarta et me laissa passer. Je pénétrais dans une zone strictement privée. On y entassait des armes de toutes sortes, mais surtout, en cet endroit se réunissait le Grand Conseil Innotien, qui jugeait des affaires de cette guerre. Cependant, en cette soirée, c’était en tête à tête que le général voulait me parler. Je l’avais toujours porté dans mon cœur : c’était un homme droit, juste, et surtout qui respectait ses hommes, qui ne les enverrais jamais à l’abattoir. C’est donc avec un grand plaisir non feint que je le retrouvais dans ses appartements. Ce devait être le seul lieu empreint de noblesse du camp : ici, pas de couche faite de paille et posée à même le sol, plutôt un grand lit sculpté dans un bois raffiné, pas de table faite de caisses et tonneaux, mais une table volée au Nélokiens lors d’une grande et glorieuse bataille. Tout ici représentait la classe, la richesse, la noblesse et l’aisance.

Houaken, un sourire, m’accueillait en ces mots :

« Clarius, vous êtes en retard. Asseyez-vous. »

Je m’asseyais sur l’un des riches fauteuils pourpres qui garnissait le Bureau du Conseil.

« Le Grand Conseil a décidé que le coup fatal à Nélokia serait porté ces jours. Une attaque massive sera lancée sur leur capitale. Mais nous avons besoin d’hommes à l’intérieur des murs, afin de nous assurer que les portes puissent être friables à notre arrivée. C’est une mission très importante, mais aussi très difficile. Nos mathématiciens – Puisse la Science être bénie – ont évalué que des hommes qui seraient à l’intérieur, pas un n’aurait la chance de revenir. »

Je commence à comprendre, non sans un certain malaise, pourquoi je suis ici.

« J’ai essayé de les convaincre que vous seriez plus utile ici. Mais ils n’ont rien voulu savoir. Le Grand Conseil vous ordonne d’infiltrer la ville. Je suis désolé. »

« J’accomplirais cette tâche, Général. Que mon sang puisse être d’une grande aide au Grand Conseil. »


Je me levais. Houaken, après avoir utilisé le salut protocolaire, se rapprocha de moi, pour me prendre dans ses bras. Il me chuchota un minuscule encouragement, et prit congé. Je décidais quant à moi de rejoindre ma tente. Arrivé là-bas, j’entendais les rires et les chansons de mes hommes, qui selon toute probabilité étaient ivres. Avec le cœur serré, je rentrais dans ma tente. La tête entre les mains, je réfléchissais, de longues heures. Au petit matin, alors que le camp était calme, que tous dormaient, je me levais, enfilais une grande soutane pourpre, et ne prenait pour arme qu’une dague. Jetant un regard autour de moi, afin de voir si je n’avais rien oublié, mes yeux se posèrent sur une lourde croix d’argent. Elle symbolisait mon respect envers les Dieux, que durant toute ma vie je m’étais juré d’honorer. Je la mettais, au moyen d’une chaîne d’argent aussi, autour de mon coup, et, enfin, me sentais prêt. Allant-au-delà de mon destin, je sortais de ma tente, dans la fraîcheur de l’aube, et me dirigeait vers l’avenir.


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Il y a 14 ans | Le 07 Jun 2009 01:41:49
[Des jours plus tard...]


Extrait du journal du capitaine Mordak, chargé de la défense de Vaca, capitale Néliokienne, troisième infanterie, mur extérieur nord. Jour 9 du septième mois.

Archive confidentielle, rubrique journaux. Destinée aux seuls porteur d'un laisser-passer royal.


Ma chère Ilis,

La bataille fait rage en ce beau matin. Ils sont arrivés en pleine nuit. De loin, nous avons vu le scintillement de leurs torches. Ils s'approchaient rapidement, et nous autres, rigolions de leur avancée folle. Nos murs extérieurs étaient trop puissamment gardés (nous avions eu la rumeur de leur attaque grâce à nos espions). Comme par magie, les portes se sont ouvertes, seules. Il semblerait en fait que l'un des leurs avait réussi à s'infiltrer dans la capitale, et avait ouvert les portes. D'après les rumeurs, celui-ci avait été fait prisonnier, mais trop tard, car les troupes innotiennes étaient déjà aux portes. En quelques heures, ils avaient pris le mur extérieur, et nous autres n'avions eu aucune autre solution que de nous retrancher derrière le mur intérieur, regardant avec effroi les habitants de l'extérieur se faire exterminer sauvagement. Depuis, ils tentaient de multiples attaques sur notre défense, mais pour le moment nous tenions. Ilis, j'espère de tout cœur que je survivrais. Mais si ce n'est pas le cas, j'aimerais que le journal te sois transmis. Je t'embrasse bien fort,

Wlifrid.


Note de l'archiviste : le capitaine Mordak survécut à cette bataille, mais fut fait prisonnier dans le terrible camp de travail de Misselbau. Son journal fut perquisitionné par les troupes Nelokiennes et mis en archive.

...

Extrait de la sentence prononcée par le tribunal de guerre Nelokien à l'encontre du dénommé Clarius. Jour 9 du septième mois.

Archive confidentielle, rubrique juridique. Destinée aux seuls porteur d'un laisser-passer royal.


Moi, Kete, grand juge de cette session extraordinaire du tribunal de Guerre Nelokien, je décrète que :

En raison de l'appartenance du suspect aux troupes innotiennes qui en ce jour sombre de notre histoire sont aux portes de la ville,
De son rôle dans cette bataille, à savoir l'infiltration, le meurtre, et l'ouverture des portes,
De son refus à répondre à nos questions concernant la guerre,
Enfin, de sa noblesse qui nous interdit de le torturer,

Le dénommé Clarius est condamné à la peine de mort. Ce dernier sera brûlé vif sous les yeux de ses vils amis innotiens, en ce jour même.

Lord Clarius
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Il y a 14 ans | Le 09 Jun 2009 23:42:47
Quelle sordide cellule. L'air y sent le renfermé. Les murs sont humides. La seule nourriture qu'on m'a laissé donnerait envie de vomir au plus affamé des chiens. L'eau est croupie. Et dire que c'est ici que je dois vivre mes derniers moments. Récemment, je fus emmené dans une grande salle, un tribunal, où m'ont jugé quelques hauts dignitaires Nélokiens. Leur but inavoué était de jouer de moi comme d'une pression psychologique sur mes amis. Après tout, me voir brûler vif sur le plus haut donjon de la ville ne remplirait pas d'allégresse des gens comme le Général. Je n'en puis plus de cette attente. Chaque seconde paraît durer une heure. En plus, ils ont pris soin de m'enfermer du côté sud, alors que la bataille se déroule côté nord : de cette façon je n'entends que les cris et les entrechoquements des lames, mais je ne vois rien.

Du bruit dans le couloir. Enfin, l'attente touche à sa fin. J'entends le rire gras de mes geôliers. Quels planqués... Alors que leurs frères se font tuer, ceux-là boivent dans la bière en surveillant une porte hermétiquement close. Je les entends qui s'approchent, et voila que la clé entre dans la serrure. La porte s'ouvre, laissant filtrer un peu de lumières des torches situées dans le couloir dans la cellule.Les deux gardes rentrent prudament, comme s'ils avaient peur que moi, enchaîné, je puisse les tuer au simple moyen de mon regard. Pitoyable. L'un d'eux, le plus gros, m'observe et me dit d'une grosse voix :

"C'est l'heure, prisonnier.On va voir si tu brûles aussi bien que tu parles."
"Fais donc ton devoir, garde, et cesse ta palabre aussi inutile que dérisoire."


Mes mots peuvent laisser paraître que je suis sûr de moi, calme : c'est le but. En verité, j'ai peur. Je ne veux pas mourir. Et surtout pas de cette manière. Mais, à moins d'un miracle, il ne me reste plus que quelques minutes. Ils me lèvent, m'aident à marcher dans le couloir. Nous arrivons dans une petite cour, où nous attend un chariot. Dedans, des bottes de pailles. Ils m'installent au milieu, et prennent place au devant. Nous voilà partis. Nous parcourons de longues rues, et le vacarme de la bataille va en s'accentuant. Soudain, nous nous arrêtons, au pied d'une tour gigantesque. Les deux gardes sautent à terre, me regardent, et m'aident à descendre du chariot.

"C'est ici qu'on se quitte. Adieu, beau parleur."

D'autres gardent viennent alors, et me posent, toujours au milieu de bottes de foin, sur un monte-charge. L'un deux donne un ordre, et voila que je monte, enchaîné. Tout en m'élévant, je distingue maintenant le fameux mur intérieur, ainsi que le mur extérieur. Ceux-ci sont noirs de fumée, et je distingue ci et là de nombreux compagnons luttant pour tenter de prendre d'assaut le mur intérieur. Il ne fait aucun doute qu'ils y arriveront... mais trop tard pour moi. Ca y est, je suis en haut de la tour. Une dizaine d'hommes richamment vêtus m'y attendent, et parmi eux je reconnais ceux qui étaient là tout à l'heure, lors de mon jugement. Deux gardent m'ôtent du monte-charge, et me déposent sur une plateforme de bois. Puis, ils balancent les botes de paille à mes pieds. Un prêtre s'approche alors.

"Baron, désirez-vous faire une dernière prière ?"
"Loin de moi l'idée de me confesser à un homme qui sera mort dans quelques heures. Puisse l'enfer t'accueillir, toi et tous les pouilleux de ta race infâme."


Ces mots font l'effet d'une bombe. Les joues du prêtres virent au rouge, et celui-ci saisit une torche, et la balance sur les botes de pailles, qui s'embrasent aussitôt. La fumée me pique les sinus, et je crois bien que je vais mourir étouffé avant de sentir la chaleur du feu. Mais que j'ai tord ! Voici déjà les flammes, hautes, qui me lèchent les joues. J'ai beau hurler, tenter de me débattre, mais je ne peux rien faire... Autour de moi les hommes sur la tour crient aussi, mais je ne sais pas pourquoi. A travers la fumée, j'ai juste le temps de distinguer une forme noire allant d'un homme à un autre... Et je bascule dans le néant.

Lord Clarius
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Il y a 14 ans | Le 31 Jul 2009 00:03:44
La lumière. Puissante. J'ouvre un œil, difficilement. Je regarde autour de moi. Je ne suis plus sur la tour, je suis dans un endroit que je ne connais pas, on dirait un désert, stérile. Tout autour de moi, à perte de vue, de la terre, stérile, desséchée. Le soleil est ici meurtrier : toute forme de vie semble avoir définitivement quitté ces lieux. Et je suis au milieu de cet endroit, de cet enfer. J'ouvre enfin le deuxième œil. Une vive douleur me saisit alors. J'essaye de me relever, mais je ne peux pas. Avec le plus grand mal, je jette un regard sur mes mains. Celles-ci sont noircies, et je constate avec dégout qu'en lieu en place de mon index gauche, il n'y a plus qu'un moignon, atteint par une sévère infection. Cette vision abominable de mon corps meurtri et agonisant m'est insupportable. Je m'évanouis.

[...]

Je me réveille. Je suis dans un lit, lequel est situé dans une petite chambre. La fenêtre est ouverte. Cette fois, j'ouvre les deux yeux, sans aucuns problèmes. Le bruit d'un oiseau chantant gaiement vient à mes oreilles. Ma main gauche, celle où l'index est manquant, me fait horriblement souffrir. La porte s'ouvre à ma droite. Un homme assez âgé entre. Il porte une longue cape noire, est chauve, et possède une longue barbe noire. Me voyant éveillé, il s'exclame :

"Enfin, te voilà réveillé. Je dois dire que tu es d'un naturel résistant : de tous ceux que j'ai ramenés des enfers de la Métempsycose, tu es l'un des premiers à en survivre. Hélas, pour combien de temps encore ?"

Le bref sourire qui orne son visage en me voyant réveillé disparait à la suite de ces derniers mots. Le temps d'un bref instant, je vois son regard loucher vers ma main gauche, et je devine que je suis victime d'une grave infection qui a maintenant atteint tout mon corps, et notamment mes organes vitaux. Mais la douleur ainsi que la chute de morale à laquelle le vieillard semble s'attendre est amoindrie par ses remarques. Des faits nouveaux viennent à ma conscience. L'homme a parlé d'enfer, ainsi que de métempsycose. Si j'arrive facilement à mettre une image sur le premier mot - l'enfer doit être ce monde stérile dans lequel j'ai émergé, le temps de quelques secondes - le second m'est cependant absolument inconnu. Je décide donc de demander des explications supplémentaires à mon hôte : que fais-je ici, quel est ce lieu, qui est-il, comment m'a-t-il "ramené de l'enfer". A ma grande surprise, c'est une voix profondément différente de la mienne qui s'exprime au travers de mes lèvres. Celle-ci est plus grave, plus posée. Il semble que le bûcher dont je porte encore les stigmates sur mes mains et sur le reste de mon corps ait aussi atteint mes cordes vocales. L'homme me répond.

"De temps à autres, des hommes, des femmes, mais aussi des créatures fantasques et bizarres émergent dans ce monde, au milieu du désert qui s'étend à une dizaine de kilomètres d'ici. Je fus un de ceux-là. Je ne peux te dire si j'étais le premier, ou bien si de nombreux autres sont arrivés ici avant moi. Je suis mort dans mon monde, et je me suis éveillé dans celui-ci. J'ai marché, de longues heures, et, au bord de la folie, je suis sorti du désert, arrivant à une forêt. Là, j'ai bâti cette maisonnée. Je me suis beaucoup reposé, et puis j'ai été de nouveau dans le désert. J'y ai trouvé des hommes et des femmes agonisants. J'ai essayé de les soigner, je les ai ramené ici, mais rien n'y a fait : seuls quelques-uns ont eu la chance de rester en vie. Ceux-là restent ici le temps de leur convalescence, et ensuite s'enfoncent dans la forêt, toujours plus loin, toujours plus intrépides.

Au fil des années, je suis devenu en quelque sorte un passeur. Je ne connais absolument rien de ce monde, au-delà de cette lisière de forêt : mon territoire est le désert, j'y aide les âmes égarées. Il y a deux semaines, effectuant ma ronde hebdomadaire dans le désert, je t'ai découvert, gisant. Il semblerait que tu aies été brûlé vif : en voulant panser tes blessure, je me suis aperçu que l'intégralité de ton corps était brûlée à jamais. Je me suis aussi aperçu de la blessure à ta main gauche : tu as perdu un doigt, et le moignon s'est fortement infecté."


Tout en racontant cette histoire - SON histoire - le vieillard se rapproche d'une petite table, située devant la fenêtre. Sur celle-ci, repose une fiole, contenant un liquide bleu pâle, comme passé. Son récit étant fini, il prend la fiole dans sa main, et la contemple longuement. Puis, il reporte son attention sur ma main meurtrie, et enfin plonge son regard dans mes yeux. Puis, d'un ton doux, il reprend la parole.

"Cette existence n'est pas celle d'un homme. Tu es condamné à vivre le restant de ta vie dans les pires douleurs imaginables. Tes brûlures te marqueront à jamais, et la douleur pourrait bien venir à bout de ta raison, te faisant sombrer dans une folie sans fin. Saches que si tu as vaincu la mort dans ce monde, je peux lui redonner l'avantage. Je peux, en d'autres termes, abréger tes souffrances. Pour cela, il te faudra juste accepter de boire ce liquide. C'est un poison efficace, qui de plus ne te fera pas souffrir. Mais, bien entendu, tu es libre de continuer à vivre."

Le silence se fait. Le veillard attend. Je réfléchis. Du fruit de cette réflexion résultera soit la mort, soit la vie, pour autant qu'on puisse appeler cela une vie. Ma main gauche me lance terriblement. Je sens l'infection dans mon cœur, dans mes muscles, dans mes poumons. Je sens que ma peau n'est plus, carbonisée par les flammes nélokiennes. Les instants semblent devenir des heures...


Lord Clarius
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Il y a 14 ans | Le 29 Nov 2009 01:33:19
Mais je ne veux pas. Pas encore. Il est trop tôt. Je ne sais pas ce qui me motive à vouloir encore lutter contre ces douleurs, contre l’existence minable et déplorable qui m’attend, au-delà de la réponse que je vais donner à cet homme. Ses paroles se répercutent encore à l’intérieur de mon être, je suis condamné à vivre à jamais, enfermé dans ce corps détruit. Non, il doit y avoir un autre moyen que la mort. C’est cette motivation et rien d’autre qui me fait lever, cette certitude folle et infantile de l’homme qui se sait perdu mais qui se raccroche alors à un mirage, pour tenter de dissimuler sa peur et sa perte de courage face au seul ennemi qu’il est impossible de vaincre : la mort. Etant difficilement parvenu à me mettre debout, c’est avec une foi indéfectible dans mes propos que je lance cette affirmation :

« Je me nomme Clarius. Je te remercie de ton aide. Mais saches que tant qu’il me restera une seconde à vivre, tant qu’il me restera le plus petit souffle d’air dans poumons, je n’aurai de cesse de chercher un moyen. Il est impossible que la mort soit le seul remède à mes maux. Que ma quête dure un jour, ou mille ans, je n’y mettrai un terme que lorsque mon corps sera redevenu celui d’origine. Saches aussi que ce monde ne sera pas celui de ma tombe. Un jour, je me le promets, je retrouverai le chemin des miens. »

« Je te comprend, ô Clarius. Ta détermination est belle, et solide. Puisse-t-elle te servir, toujours.»


Cette conversation ayant pris fin, je me rallonge dans le lit, essayant de me reposer un maximum avant d’entreprendre ce long périple. Je sais déjà quelle sera ma direction : la forêt. Si tous ceux sauvés par le vieillard s’y étaient enfoncés pour ne plus jamais revenir, il ne fait aucun doute que la solution, qu’elle soit de vie ou de mort, se trouve au-delà de la lisière sombre et menaçante des bois. Plusieurs jours passent. J’ai toujours mal, de plus en plus mal. Je me souviens encore du choc et de la tristesse qui m’ont envahi quand je me suis regardé dans un miroir. Mon corps, bronzé à l’origine, est maintenant couvert de plaques noircies. Par moment, la peau a entièrement disparu, laissant apparaître muscles et os. Je suis devenu un monstre. Il est temps de partir, de changer.

Le vieux me donne une soutane rouge, munie d’une capuche. La revêtant, je félicite mon hôte : avec cet habit, on ne peut rien apercevoir des sévices corporels que j’avais dû subir. Il me confie aussi une lourde épée, laquelle me serait assurément utile dans la forêt, me dit-il. Mais lorsque j’essaie d’en savoir davantage sur les menaces qui planeraient sur moi dans les bois, le bougre se contente de hausser les épaules, me disant que de toute façon, je ne pourrais pas le manquer, et que je le verrais bien assez tôt. C’est donc avec le cœur lourd, un peu inquiet, que je pars au-devant d’une nouvelle existence.

C’est ainsi que, vêtu de ma soutane, et n’ayant pour seul accessoire qu’une épée, je m’enfonce dans la végétation luxuriante qui envahit la forêt. Mon avancée est pénible. A chaque pas, ronces et orties viennent troubler ma détermination à aller de l’avant. Cela doit faire maintenant plusieurs dizaines d’heures que j’ai quitté la maison du vieillard. Malgré mes blessures, je ne ressens pas la douleur. Ma foi en ma réussite et ma volonté sont plus fortes que tout, plus fortes que le poison, qui, à chaque mouvement, gagne du terrain, se mêlant à mon sang. Un sentiment étrange m’envahit. J’ai l’impression que quelqu’un ou quelque chose me suit, m’observant, épiant chacun de mes faits et gestes. Plusieurs fois, je me retourne brusquement, espérant voir apparaître celui, celle ou ce qui me suit, car je sais que dans cette forêt, je ne suis pas seul.

Mais je ne vois toujours rien, et je finis par croire que la fièvre est la responsable de cette impression, quand, soudain, devant moi, se dresse un homme, sorti d’on ne sait où.