Les trottoirs, toujours les mêmes...
Schtrow connaissait le moindre pavé de cette rue. Elle l'avait arpenté pendant des heures. Ces devantures lui étaient familières. C'était là son lieu de vie, son lieu de travail aussi. Elle aurait pu avoir le choix, devenir magicienne, guerrière, soigneuse ou tout autre métier fabuleux. Mais finalement, autant par choix que par obligation, elle avait choisi le plus vieux métier du monde.

Femme de petite mœurs, traînée... Elle connaissait bien tous ces qualificatifs, et elle les assumait, maintenant. Aussi troublant que cela puisse paraître, les filles de joie ne sont-elles pas les seuls à pouvoir offrir un bonheur sans limite? Ne peuvent-elles pas apporter ce que nulle autre personne ne sait créer? Un peu de chaleur humaine, une bonne dose de réconfort, et souvent une oreille attentive...

Schtrow offrait plus. Elle prouvait aux hommes qui venaient la voir qu'il existait quelqu'un de plus vide qu'eux, de plus pitoyable, par là même. Peut être était-ce sa façon de leur redonner confiance en eux.

Depuis de nombreuses années, maintenant, elle offrait son corps au jeune homme en quête de sensation forte, à l'habitué du vendredi soir ou encore à l'occasionnel, dont les visites se faisaient de plus en plus rapprochées... Mais cette vie n'était pas des plus malheureuse. L'avenue qu'elle parcourait était une des grandes artères de la ville, le beau monde s'y côtoyait et elle n'avait pas les pires clients que l'ont puisse imaginer. Elle était une demoiselle de la haute société, et peu savaient qu'elle était payée.

Ce fut dans cette rue qu'elle rencontra pour la première fois un homme qui la bouleversa. Il ne souhaitait rien d'elle, elle n'avait d'ailleurs pas grand chose à lui offrir. Un café? Où le prendraient ils, dans sa chambre particulière? A la terrasse d'un café? Que de lieux inappropriés pour elle. Non, elle préférait l'observer de loin, dans un premier temps, ses allers et venus, ses habitudes, ses tics et ses manies. Elle le connaissait maintenant parfaitement. Elle aurait aimé faire beaucoup pour lui, mais en quoi pouvait elle l'aider? Elle ne pouvait lui offrir qu'un unique plaisir, celui qu'elle offrait à chacun.